Archive for the 'Horreur' Category

07
Mar
12

Jean Maurice

JEAN-MAURICE

L’aurore faisait pâlir ce petit matin frais, le soleil avait à peine attaqué sa céleste ascension et les nichées d’oiseaux pépiaient gaiement leurs espoirs quotidien.

Le moteur de la débroussailleuse imprimait des vibrations qui lui massaient le dos, le harnais qui la maintenait la rendait moins pesante et plus maniable. Le moteur ronronnait doucement et la lame tranchait dans la verdure avec à peine un léger chuintement. Jean-Maurice se sentait bien ce matin, serein et heureux avec cet engin dans les mains. Heureux d’être dans ce grand jardin, acquisition récente dont il était fier. Mais que de travail ! Les anciens proprios l’avait laissé en friche et les herbes hautes envahissaient l’espace, des orties arrivant à sa taille, dont les tiges étaient aussi épaisse que de petites branches.

Il avançait dans cette jungle, faisant des demi-cercle avec le manche télescopique, se frayant un passage dans les ronces, l’odeur piquante et suave de la sève se mêlait à celle âcre de l’essence. A chaque brassée qui tombait il se sentait envahit d’une joie enfantine, d’un sentiment de puissance incommensurable, il dominait le végétal, le faisait plier sous son arme, comme un héros de la mythologie balayant des lignes de fantassins d’un revers d’épée.

Il avançait toujours, ses lourdes bottes de sécurité broyant les débris de l’armée végétale, faisant craquer les ronces sèches. Il s’arrêta quelques secondes et prit une longue inspiration, il essuya les mouchetures verdâtres qui pilonnaient son masque de protection, puis, avec un large sourire béat, il mit la machine à puissance maximale et se sentit emporté par son rugissement.

    • Jean Maurice ! Jean Maurice ! Il n’entendit les cris de son épouse que lorsqu’elle fut assez proche.

Il se retourna sans éteindre la débroussailleuse :

    • Tiens je t’ai apporté de l’eau fraîche, je me suis dit que tu devais avoir soif.

Il prit la bouteille et ne se rendit compte de la chaleur qu’à ce moment là. Le soleil était haut dans le ciel azuré qui brillait d’un bleu agressif. Puis il baissa les yeux sur sa machine, la lame d’acier tournait lentement sur elle même et il était hypnotisé par le mouvement. La sève des plantes, collante et odorante, se mêlait en conglomérat verdâtre par endroit. Il se dit que c’est que devait utiliser les réalisateurs de films de SF pour le sang d’alien. Cette pensée le fit sourire.

    • Ça va ? S’enquit sa femme.

    • Pourquoi pas ? Répondit-il. Le regard dans le vague.

Machinalement il joua avec la commande de puissance, l’engin crachotait à faible régime et repartait dans un ronronnement sauvage pour revenir à un feulement rauque. Il leva les yeux sur sa compagne, elle entrait dans la cinquantaine, le temps et l’âge commençait à prélever leurs tributs, de ses formes généreuses lors de leur mariage il ne restait qu’une chaire flétrissante, des rides d’amertume encadrait son sourire naguère si envoûtant. Jean Maurice se secoua, Jean Maurice aimait son épouse, Jean Maurice aimait ses deux enfants. Et Jean Maurice se sentait puissant.

Il approcha la lame de sa femme et entendit a peine son cri quand elle entra en contact avec son tibia, elle rongea la chair rapidement et attaqua l’os dans un crissement, de la poussière blanchâtre se pulvérisa sur la lame, recouvrant le sang noir.

Elle s’écroula, le visage déformé par la douleur, elle sentit le poids de la botte écraser son thorax, la maintenant fermement au sol, l’empêchant de bouger. Elle vit la lame approcher son visage, sentit son souffle, le brassage de l’air en un tourbillon mortel de peur et de souffrance survoler sa bouche, son front, circuler d’avant en arrière. Elle pleura en gémissant.

Il jouait avec la lame au dessus de son épouse, la faisant valser au dessus de son visage, un pied sur sa poitrine, la maintenant au sol par son propre poids, il l’observa gémir et tenter de se débattre, d’échapper à l’inéluctable. Jean Maurice souriait sous sa visière de plastique. Il alternait entre les différentes vitesse appréciant ce moment.

La lame trancha le cartilage du nez, laissant apparaître les cavités nasales qui se remplirent de sang rouge vif, il vit la bouche de son épouse béante sur un hurlement qu’il n’entendit pas. La machine peinait sur l’os du menton, il mit la puissance maximum et sentit l’ivoire céder. Des dents volèrent de toutes part, accompagnée d’un flot de sang épais, il continua son œuvre et vit les yeux bleus empreints d’incompréhension, de douleur et de mort sortirent lentement des orbites, couler sur les joues pour s’écraser sur le sol. Deux fleurs blanches, bleues et rouges contrastant sur le vert de la pelouse. La lame rencontra le vide, il s’arrêta et la mit au ralenti. Elle toussa et crachota comme si elle digérait ce carnage.

Le visage de son épouse n’était plus d’une découpe anatomique, les fosses nasales et les orbites vides suintaient un sang noirâtre mêlé à des grumeaux blanchâtre de la cervelle maintenant exposée à l’air libre. La découpe était parfaite, nette, la mince épaisseur du crâne lisse était striée de cheveux blonds coagulés. Le reste de la toison était répandu en auréole autour de la tête dans une sorte de sanctification de la matière grise.

Jean Maurice se détourna de l’icône macabre et se dirigea vers la maison, elle ressemblait a toutes les maisons d’un famille ni pauvre, ni riche mais qui a les moyens de vivre correctement, elle comptait un étage où se trouvait les chambres des enfants, d’ailleurs il entendait par dessus le ronronnement sourd du moteur les vagissements d’une chanteuse à la mode dont sa fille était fan.

Il entra par la porte de la cuisine et traversa la pièce carrelée de blanc, le plan de travail de couleur gris brillait de propreté, dessus trônait une coupelle de fruits appétissant, il suffisait de tendre la main pour en saisir un. Il le reconnaissait, son épouse était aux petits soins pour sa famille.

Il atteignit le salon, le grand canapé de cuir blanc trônait en plein milieu. Dieu, que je déteste ce sofa ! Songea-t-il. Il remit la machine à pleine puissance et massacra méthodiquement les assises, la mousse jaune ressortait par paquet, comme des organes. Les restes d’herbes et de sang mouchetèrent le blanc immaculé de vert et de rouge, la lame se bloqua dans un accoudoir, d’un geste rageur il la retira.

    • Mais qu’est ce que tu fous ? La voix de son cadet variait des graves aux aigus.

Il se retourna vers l’adolescent, il entrait tout juste dans la puberté, son corps portait encore les marques de l’enfance, une épaisseur de graisse superflue ici et là mais déjà se dessinait sa silhouette d’homme. Jean Maurice s’approcha, il leva la débroussailleuse assez haut pour l’aligner sur la bouche de son fils.

    • Arrêtes ça ! Tu me fais flipper grave !

Il enfonça la lame dans la bouche béante, elle attaqua la commissure des lèvres et ses bords crénelé déchirèrent la chair. Il mit le moteur à la puissance minimale, grisé par les vibrations du manche se répercutant en milliers de fourmis électriques sur ses bras et poussa tout doucement la lame. Les joues s’écartèrent lentement sous la pression, laissant s’échapper de minces filet de sang qui se projetaient en gouttelettes. Elles giclèrent sur les escaliers, le mur saumon et le canapé.

Il insista légèrement et la lame explora plus avant, la mâchoire inférieure s’affaissa, maintenu par un tendon rougeâtre au reste du crâne. Il atteignit les cervicales et dû augmenter la puissance, avec force il poussa, la lame mordant les os, soudainement elle rencontra le vide, le haut du crâne du gamin se sépara de la mâchoire et le reste du corps s’écrasa mollement au sol.

Jean Maurice observa son œuvre et il haussa les épaules, il attrapa la tête de son fils par les cheveux et l’empala lentement, la tournant comme un écrou dans une vis, sur la lampe halogène qui se tenait, horreur de la décoration moderne, fière et hautaine sur la droite du canapé, la transformant en une sculpture morbide.

Il monta les escaliers, son poids conjugué à celui de la débroussailleuse les fit grincer de manière inquiétante. Il continua son ascension et arriva sur le palier, à gauche sa propre chambre, celle de son fils, la salle de bains. A droite, la chambre de sa fille, le grenier. Il prit a droite.

La moquette bleu nuit parcourue de lignes épaisses comme du velours étouffa ses pas, la musique beuglante couvrait son approche. Il atteignit la porte entrebâillée et jeta un coup d’œil. Elle était allongée à même le sol chantonnant le refrain tout en consultant un magazine people. Ses pieds battaient l’air en cadence, suivant le rythme peu évolué qu’ils suivaient. Il observa un moment son ainée, elle lui rappelait son épouse plus jeune, pulpeuse, une pointe de sensualité et de provocation. Son petit short estival moulait ses fesses aux courbes tentatrices, laissant, imaginer une vulve gonflée et prête a recevoir, un anus serré et vierge de toutes explorations. Ses cheveux assez longs retombaient en volutes blondes sur son dos souple et musclé. Ses jambes oscillaient dévoilant la puissance des mollets et la féminité de ses cuisses. Jean Maurice observait, Jean Maurice se masturbait. Il l’imaginait à sa merci, allongée sur le dos, ses seins aux rondeurs appétissantes se soulevant sous sa respiration saccadée, ses soupirs rauques, son râle d’extase quand il s’insérait dans son vagin tout lui pénétrant l’anus des doigts. Jean Maurice se masturbait, la machine vibrante massant son dos lui offrant un plaisir plus intense. Maintenant il la voyait à quatre pattes, une mèche de cheveux blonds dans son poing qui tirait sa tête vers lui tandis qu’il la percutait avec fougue par derrière, s’immisçant dans sa plus totale intimité, jouissant de la sensation des muscles resserrés contre son sexe durci et sensible à la moindre variation de pression.

La musique s’arrêta sur une note discordante, Jean Maurice éjacula, il sentit son sperme se répandre sur son poing fermé et émit un râle de plaisir. Sa fille dû l’entendre car elle se retourna :

    • Papa ! Qu’est ce que tu fous ! Dégage c’est ma piaule !

Il ne répondit pas et se reboutonna, d’un pas léger il pénétra dans la chambre, les murs saumons étaient recouvert de posters représentant de la société consumériste adolescente. Le lit était défait et l’armoire dégueulait la garde robe de la jeune fille.

    • Ça suffit ! Tu sali tout avec ta machine ! Elle s’était redressée sur les coudes et fusillait son père de ses yeux bleu clair.

Et il avança, doucement, lentement, ses bottes laissaient des empreintes profonde imbibées de sang sur la moquette crème. Elle prit peur, il lu dans ses yeux sa terreur enfantine, comme quand elle était gamine et qu’il faisait la grosse voix. Il sourit. Et se rapprocha.

    • Arrête tu me fais peur ! Murmura-t-elle.

Il lui sourit et mit la débroussailleuse à plein régime, le vacarme dans la petite pièce était enivrant, l’homme allié à la machine, la puissance indestructible. Elle recula doucement voyant son père approcher, pour finir elle se retrouva acculée, dos au mur, sans espoir de fuite. Elle leva le bras en vaine tentative de défense et entendit la machine infernale s’arrêter après quelques toussotements de protestation. Elle osa relever le regard vers son géniteur et baissa son frêle bouclier de chair.

Une lourde botte de sécurité vint s’écraser sur son nez, elle vit la semelle de caoutchouc crénelé venir à la rencontre de son visage et son crâne fut heurté simultanément par le mur derrière et le pied renforcé.

Il sentit avec exultation le cartilage éclater sous sa botte, les os des pommettes se fissurèrent dans un craquement léger. Il ôta son pied, le visage sanglant de sa fille apparut, la bouche déformée par un rictus de douleur. Le piercing de l’ailette droite s’était ferré comme un hameçon dans la chaussure et il du tirer de toutes ses forces pour l’en arracher, un flot de sang gicla avec le morceau de métal et de chair qui y pendaient. Elle poussa un léger gémissement quand elle s’effondra en avant sur la moquette maintenant d’une teinte bordeaux.

Elle était allongée sur le côté, les genoux remontés sur son abdomen en un geste inconscient de défense, sa figure ensanglantée enfouie dans ses bras, en position fœtale.

D’un coup de pied brutal il la bascula sur le dos, il se campa au dessus d’elle et remit la machine en route, la lame tourna joyeusement comme pleine d’une nouvelle vigueur. Sans ménagement il écarta les cuisses de l’adolescente, il glissa le disque d’acier délicatement entre les jambes ouvertes et, en suivant la couture, il découpa le short en jean. Le tissu céda dans un crissement ténu. Il releva le manche et se gratta le menton, un sourire fugitif aux lèvres.

Il baissa le régime et attaqua la peau nue et tendre, le sang coula en un mince filet sur la moquette déjà souillée et la lame traça deux sillons impeccables et droit dans les cuisses, il accéléra et la lame heurta, au travers du string en dentelle, le clitoris de la jeune fille. Dans un sursaut elle se contracta, son dos s’arqua sous la douleur et ses ongles s’enfoncèrent profondément dans la moquette, la tête en arrière le sang dévala son visage et imbiba ses cheveux d’or pâle, leur offrant une couleur grenadine.

Il continua, il sentit la lame pénétrer le vagin, puis atteindre l’utérus. Une mare rougeâtre s’échappa du bassin, la moquette en absorba la plus grande partie. Il sentait maintenant les os pelvien céder sous le tournoiement de la machine, au travers du débardeur de son aînée il pouvait voir l’abdomen s’affaisser tandis que la machine fouissait plus avant, le manche était déjà au quart enfoncé dans le corps de sa victime. Patiemment, Jean Maurice poursuivit son œuvre, le sang lui inondait les bottes, il sentait sa chaleur et sa vitalité se répandre en flot continu, une odeur de merde et d’urine s’ajouta à celle du liquide, la vessie et le côlon avait dû exploser songea-t-il.

Elle ne bougeait plus, mais la douleur était bien réelle, elle sentait la lame dans son ventre, elle tournoyait, brisant os et organe, elle voulu hurler mais sa voix ne sortit pas de sa gorge, juste un faible gémissement, un dernier appel à la pitié.

Il n’y avait plus de pitié, Jean Maurice releva d’un coup sec la lame, elle traversa le sternum comme si ce n’était qu’un fine couche de plâtre, arrachant dans son mouvement la peau de l’abdomen, quelques côtes et entrainant une moitié de poumon, aspergeant Jean Maurice de sang et de débris d’organes. Il resta ainsi quelques minutes, peut-être une heur, il n’aurait su dire, le disque tournoyant dans le vide, à la moitié du manche pendouillaient les reins qui s’agitaient sous les vibrations de la lame.

Jean Maurice stoppa la débroussailleuse, il ôta son masque de protection d’un geste las et retira ses gants de protection, il les jeta sur les restes sanglants et écartelés de sa fille. Il défit le harnais qui maintenait la machine puis il la déposa prés du cadavre.

Il descendit d’un pas lourd les escaliers, se dirigea vers la cuisine, laissant derrière les traces sanglantes de son exploit. Au passage il adressa un clin d’œil à la moitié du crâne de feu son fils. Il atteignit le frigidaire et y attrapa une bière qu’il ouvrit. Avec délectation, il but la première gorgée puis s’installa sur un siège et ouvrit le journal du jour.

FIN

07
Mar
12

Les Toits

LES TOITS

    • Faut qu’on dégage d’ici. Le constat d’Eric était simple et tellement lucide.

    • Je sais. Fis-je morose. Mais quitter cette zone c’est crever.

J’observais notre planque de fortune, nous étions réfugiés au dernier étage d’un immeuble. Et cela faisait trois ans, trois ans que nous survivions ainsi, terrés dans ce petit appartement. Par chance l’eau, l’électricité et le gaz n’étaient pas coupés, cependant nous n’utilisions pas les deux derniers par discrétion et par sécurité. Nous commencions à manquer de vivres, malgré les raids que nous opérions dans le quartier. Bien sûr nous prenions le minimum de risques, commençant par les bâtiments mitoyens, nous avions pillé cuisines et garde – manger, cela nous avait permis de tenir. Mais depuis quelques temps nous devions opérer de plus en plus loin, ce qui leur offrait une chance de nous avoir.

Nous étions six à partager le loft exigu, nous vivions dans la pénombre, toutes les issues, portes, fenêtres étaient colmatées, même les grilles d’aération. Seule une sortie par le toit était ménagée nous permettant de sortir ou de fuir. Nous avions isolé l’appartement du bruit en plaquant des matelas, récupérés lors de nos expéditions, contre les murs, de l’extérieur on ne pouvait deviner notre présence, et leurs hurlements ne pouvaient nous atteindre.

Pour l’heure je me les gelais sur le toit, tour à tour nous nous relayions pour monter la garde, à la moindre alerte un peu sérieuse notre plan d’évacuation se mettait en place et nous décampions vers une position de repli, six cents mètres plus loin, en utilisant les passerelles que nous avions installées entre les toits.

J’observais la nuit qui tombait lentement, arrosant les toits de tuiles d’une couleur sanglante, de lugubres gémissement montaient vers moi, c’était une heure que j’appréciais particulièrement et j’en profitais pour me vider l’esprit de l’horreur qui nous entourait. Eric, qui savait pourtant que je n’aimais pas être dérangé dans ces moments m’avait rejoint, l’homme de couleur avait quelque chose d’important à me dire :

    • Les filles se plaignent du manque d’espace, de l’hygiène et du manque d’intimité…

    • Putain ! Qu’est ce qu’il leur faut ? Ça ne me plaît pas non plus de me terrer ainsi, mais nous n’avons pas le choix.

    • Je sais bien, mais cela devient dur pour tout le monde.

Je poussais un soupir, elles n’étaient que deux, Sarah et Julie, et nous quatre étions aux petits soins pour elles, la seule chambre leur était réservée et elles ne prenaient jamais part aux raids, nous évitions de les confronter à la sordide et violente réalité. Bien sûr elles s’occupaient de l’entretien des lieux, c’est vrai que quatre mecs qui dorment entassés dans la même pièce, cela finit par sentir le fauve, mais nous n’y pouvions pas grand chose.

    • Il faudrait trouver une planque plus grande. Continua Eric.

    • Et des armes. Ajoutais-je.

    • Là, c’est pas gagné. Aucune émotion dans sa voix, aucun désespoir, juste un constat évident.

    • Je sais, une planque plus grande implique une nouvelle sécurisation, du boulot en plus.

    • On pourrait quitter la ville, se diriger vers la campagne.

    • Je ne suis pas sûr que cela facilitera les choses. Et quitter la ville me semble pratiquement impossible.

    • En tout cas, Sarah et Julie ont ça en tête, elles veulent prendre l’air, elles n’en peuvent plus d’être enfermées.

    • Je vais leur parler., prends le relais.

Je n’étais pas le plus diplomate du groupe, ni le plus organisé, mais tous avaient décidé de me faire confiance, ils comptaient sur mon sang froid et sur le détachement que j’affichais depuis le début. Implicitement je menais le groupe, techniquement je demandais l’avis de chacun avant de prendre la moindre décision, décision qui pouvait compromettre notre survie. J’avais décidé que nous n’agirions que si tout le monde était d’accord, que la moindre objection serait retenue, évidemment cela impliquait beaucoup de discussions, pour certains, comme Eric, une perte de temps. Je lui avais expliqué que je préférais avoir un groupe uni, tourné vers le même but, plutôt qu’un seul d’entre nous remette en cause notre sécurité et notre survie car il n’était pas satisfait d’une décision. Cela marchait plus ou moins.

Je réintégrais l’appartement, je mis quelques secondes avant de pouvoir distinguer quoi que ce fût, dans le salon les matelas sur lesquels nous dormions que d’un œil étaient repoussés contre le mur pour gagner un peu d’espace. Lionel et Guillaume tapaient le carton sur la table basse, à côté Chose roupillait, il remua de la queue à mon passage. Chose c’était le ratier de Julie, un chien indescriptible qui tenait plus de la parenté avec le Gremlin qu’avec le genre canin, par contre il valait le système d’alarme le plus sophistiqué.

Je me dirigeais vers le coin cuisine, pour éviter d’utiliser le gaz, Lionel nous avait bricolé un four à bois et la chaleur dans la petite pièce était peu supportable. Sarah était assise devant la table, elle fixait la nappe, ses cheveux bruns lui tombant sur le visage, Julie, quant à elle s’affairait autour d’un fait-tout d’où s’échappait une odeur grasse.

    • Tu nous fais encore ton cassoulet ? Fis-je l’air dégoûté. Tout les mois la petite blonde originaire de Toulouse nous forçait à avaler son cassoulet, qui n’avait plus du plat que le nom. C’était une façon pour elle de se rapprocher de ses origines.

Sarah me lança un regard lourd de reproches :

    • Réunion dans cinq minutes. Ordonnais-je pour couper court à toute remarque.

Nos conseils se déroulaient dans le salon, nous nous y réunissions tous les six et débattions des problèmes en cours :

    • Qu’est ce qui va pas avec vous deux ? Je m’adressais directement aux filles en ne prenant pas quatre chemins, je considérais que le fait de vivre en communauté restreinte nous offrait l’avantage de s’épargner de la diplomatie inutile et nous obligeait à crever rapidement les abcès.

    • Je me sens à l’étroit, cela fait trop longtemps que je ne suis pas sortie. Bougonna la petite blonde avec son accent chantant.

    • J’en ai marre de rien faire, vous les garçons vous sortez, vous allez dehors. Elle cherchait ses mots et sa façon de prononcer ses  » r  » signalait son origine hispanique. Je veux sortir, prendre des risques, voir le soleil et la campagna ! Ou au moins trouver un endroit plus grand.

Nous nous regardions, nous les garçons, nous pensions les protéger et leur rendre service en les empêchant de foutre les pieds dehors, apparemment pas.

    • Ok, j’ai pigé, qu’est – ce que tu proposes ? Je posais la question à Sarah, sachant que des deux c’était elle la meneuse.

    • Qu’on quitte ce trou à rats, vers la campagne, qu’on quitte cette putain de ville ! S’exclama-t-elle.

    • Cela va être sportif ! Commenta Eric avec humour.

    • Non, c’est totalement suicidaire ! Rétorquais-je. Nous sommes en mode survie, je crois que tu n’as pas compris ce qui nous attend dehors, je te parle pas d’une dizaine, d’une petite centaine ou d’un léger millier, je te parle de dizaines de mille d’une population toute entière ! Merde ! Ils n’attendent qu’un mauvais geste de notre part pour nous bouffer ! La moindre erreur et nous sommes morts !

    • Pourtant quand je monte la garde j’en vois pas beaucoup. Se défendit-elle. Ils sont peut – être partis.

    • Pour aller où ? Je ne suis pas sûr que ce soit de grands amateurs de ballade en forêt. Et si tu n’en vois pas beaucoup, c’est que les gars et moi on fait le ménage chaque fois qu’on sort !

    • Ok, on peut pas quitter la ville mais on peut peut – être trouver une planque plus grande ? Lionel venait à la rescousse des filles. Il fit un sourire chaleureux à Julie.

    • Un endroit plus grand, y’a intérêt qu’il soit foutrement sécurisé ! Intervint Eric

    • Et les casernes militaires ? C’est protégé, y’a des armes et de la bouffe sans doute.

    • Et sans doute des militaires survivants et paranoïaques, pas envie de me faire plomber le cul ! Contrais-je.

    • En gros, on est bloqués là pour un bon moment. Soupira Sarah.

Je l’observais, c’était une jolie hispanique aux cheveux striés de reflets cuivrés, à la bouche pulpeuse et au nez mutin. Je vis une telle détresse dans ses yeux légèrement en amande que je cédais un peu de terrain :

    • Je connais un coin qui pourrait faire l’affaire. Fis-je

Elle releva la tête :

    • Où ? Pleine d’espoir.

    • Pas très loin, le collège Henry IV. Je m’approchais de la carte que nous mettions à jour à chacun de nos raids. C’est là. J’indiquais un point sur la carte à a peine 800 mètres de notre cachette. 800 mètres, le bout du monde.

    • Ça se présente comment ? Eric pragmatique.

    • Mur d’enceinte d’au moins deux mètres, portail en acier solide, le bâtiment est de brique rouge, c’était une ancienne usine.

    • Je vois, c’est vers Magenta.

    • Juste à côté.

    • Pas loin d’une armurerie ! Jubila Guillaume.

    • Vous emballez pas, on y est pas encore, va falloir faire quelques raids de nettoyage et de repérage. Ça vous tente une petite virée les filles !

Elles me regardèrent étonnées.

    • Cela vous permettra d’apprendre les signes que nous utilisons lors de nos déplacements. Évidemment il y a une condition.

    • Laquelle ? S’inquiéta Sarah.

    • Vous obéissez aux moindres de nos ordres.

    • Ceux de qui ? Julie candide.

    • De moi et Eric. Quand on signale repli, c’est repli.

    • Ça marche. La petite brune était motivée.

    • Je sais pas trop, j’ai un peu peur. La toulousaine se recroquevilla sur elle même.

    • Tu viendras avec moi et Eric. La rassura Lionel.

Elle eu un bon sourire et hocha la tête en signe de connivence.

Comment nous nous retrouvions dans cette situation ? On pourrait dire que ce n’est qu’un enchaînement de circonstances, un heureux hasard ou un instinct qui nous a poussé à ne pas suivre le mouvement. Cela a commencé lors d’une soirée comme les autres, Julie venait juste de s’installer dans l’immeuble et nous avions pour tradition, nous les anciens, Sarah, Eric et moi, d’organiser un apéro d’accueil. Pour faire connaissance et pour favoriser une bonne entente entre voisins. Nous discutions de sujet divers, de nos parcours, des banalités habituelles quand nous entendîmes des cris à l’extérieur, d’abord éloignés et épars puis de plus en plus proches et insistants.

Nous approchâmes de la grande baie vitrée qui donnait sur la petite rue pour voir de quoi il retournait et le spectacle qui s’offrait à nous était effarant. Sortant des immeubles voisins, les habitants se précipitaient dans leurs voitures et essayaient de quitter l’endroit, générant un embouteillage et plusieurs accrochages violents. Au milieu de cette cohue nous perçûmes un être étrange, il se déplaçait lentement et titubait comme ivre. De loin nous ne pouvions percevoir les détails, mais il nous semblait qu’il ne se comportait pas tout à fait normalement. Au fur et à mesure d’autres personnes semblant être atteintes des mêmes symptômes apparurent, se dirigeant inéluctablement vers les valides.

    • C’est quoi ce merdier ? Grogna Guillaume.

    • J’en sais foutre rien mais ça craint. Répliquais-je.

    • Nous devrions peut – être partir d’ici ? Suggéra Sarah.

    • Non, regarde le bordel que c’est, attendons que cela se calme. Si nous sortons nous nous ajoutons à la panique et j’ai pas envie de me faire écraser. Intervint Eric.

    • Mais si c’est comme ça partout ? Il faut retrouver nos familles, nos amis, on peut pas rester là à rien faire !

    • Pour moi c’est la meilleure solution. J’appuyais l’avis d’Eric, n’étant pas très porté sur les bains de foule je ne voulais pas me retrouver pris dans une masse paniquée. J’ai horreur des instincts grégaires.

    • Y’a plus de réseau ! Julie s’acharnait sur son portable, massacrant ses touches.

    • Allume la télé ! Voir ce qui se passe. Conseilla le noir.

Nous nous rendions dans le salon où le petit écran crachotait une image entrecoupée de neige et de parasites. La chaîne d’informations diffusait des vidéos du monde entier, toutes les capitales étaient atteintes de cette sorte de folie. Un des envoyés spéciaux parlait d’hallucination collective et conseillait aux téléspectateurs de rester chez eux. Puis un porte – parole de l’armée nous assura que la situation était sous contrôle, qu’il ne fallait pas céder à la panique. Vu les cris qui nous parvenaient, peu de citoyens devaient être devant leurs postes. Nous décidions de rester cloîtrés dans l’appartement et d’attendre le lendemain. Pendant une bonne partie de la nuit la télévision diffusait les mêmes informations puis cessa tout bonnement d’émettre. La radio ne nous était pas d’un grand secours, le message du porte – parole de l’armée tournait en boucle. Cette nuit là aucun de nous ne dormit, attendant le signe de vie d’un ami, de secours ou d’une autorité quelconque pouvant nous expliquer de quoi il retournait. Rien.

Le lendemain était calme par rapport aux hurlements qui avaient rythmés notre demi sommeil, silence bercé de grognements rauques et de râles lugubres.

    • Je vais voir ce qui se passe dehors.

Guill prit cette décision, c’était le plus costaud de notre groupe, il travaillait dans le gros œuvre et sa carrure d’armoire normande nous faisait paraitre chétifs à côté de lui. Pendant que Lionel descendait à son appartement récupérer quelques ustensiles de cuisine, Eric et moi nous nous postions à la baie vitrée pour observer la progression de notre colocataire. Il sortit dans la rue et fit quelques pas vers les voitures qui l’entravaient quand quelque chose lui agrippa le mollet, il assena un puissant coup de pied à la créature qui le lâcha. Précipitamment il revint dans l’immeuble et referma la lourde porte.

    • Venez m’aider putain ! Faut bloquer la lourde ! Il y avait de la terreur dans sa voix et nous l’entendions s’activer dans le premier appartement, il déplaçait des meubles lourds.

Nous nous précipitions à son secours, il soulevait un gros buffet qu’il traînait sur le sol, je regardais avec un pincement au cœur ce meuble quitter mon appartement, mais je me saisis d’un des côtés et le levais, sans ménagement le colosse le projeta contre la porte. Nous fîmes de même avec tous les meubles qui nous tombaient sous la main, y mettant plus de zèle que nous entendions les grognements qui nous parvenaient de la rue et les coups violents qui se répercutaient dans le hall. Au final le rez de chaussée se retrouva encombré du mobilier de trois appartements, entassés les uns sur les autres, ils formaient une barricade hétéroclite, même les fauteuils en forme d’œuf pop-art que Sarah adorait constituèrent ce rempart improvisé. Nous regardions cet amas quand Guill s’effondra.

Nous avions eu un mal fou à hisser ses 130 kilos de muscles jusqu’au troisième, mais en suant et en ahanant, nous y parvînmes. Une fois sa carcasse installée sur le canapé je demandais à Eric de s’en occuper. Il avait fait six ans de médecine avant de se reconvertir dans un secteur où les études étaient moins longues et les revenus plus lucratifs : la finance. Lionel nous aida à maintenir les deux jeunes femmes à l’écart en s’enfermant avec elles dans la cuisine. Après avoir ausculté le colosse il m’affirma qu’il n’avait aucune blessure, son malaise était peut être dû à une frayeur sans nom. L’adrénaline ne dopant plus le système il se met en stand-bye (Je rapporte ce que j’ai compris, les termes techniques ne sont pas ma spécialité).

Julie entra dans le salon, un plateau chargé de tasses fumantes :

    • Qui veut un… A la vue de Guillaume sans connaissance elle le lâcha et son contenu se répandit au sol. Qu’est ce qui se passe ? S’écria-t-elle.

    • Pas de panique. La rassura Eric. Il va bien, il faut qu’il se repose.

Elle restait là les bras ballants à fixer le vide. Je m’approchais d’elle et la secouais doucement, pas de réaction. Je lui flanquais une gifle magistrale et elle reprit ses esprits.

    • Aïe ! T’es dingue ou quoi ?

Je ne répondis pas, mais la scrutais.

    • Quoi ? Qu’est ce qu’il y a ?

    • Rien, t’étais ailleurs. Répondis-je. On s’occupe de Guillaume, ne t’inquiètes pas.

Autant parler à un mur, quand elle se souvint de Guill elle se précipita auprès de lui et le materna pendant les deux jours où il resta ainsi. Pour moi il était difficile d’imaginer ce grand gaillard tomber dans les pommes pour une petite frayeur. Nous renforcions notre barricade et ramenions toutes les provisions que nous pouvions trouver dans nos appartements. L’inutile nous le laissions là où il se trouvait.

Notre déménageur était sorti de sa torpeur et nous le pressions de questions. Il ne se souvenait pas vraiment de ce qui l’avait attaqué, mais il en gardait une sale impression. Il prétendait, et nous le crûmes, qu’ils étaient des centaines dehors, prêts à nous bondir dessus, qu’il ne fallait pas espérer franchir ne serait-ce que la rue. Cela nous posait un problème, un sérieux dans le genre, comment allions nous faire quand nous n’aurions plus rien à manger ? La solution nous vint assez rapidement en fait, tenter de passer uniquement de toit en toit, cela devait être faisable vu la configuration de la rue.

Aussitôt Eric et moi décidions d’essayer, un velux dans la salle de bains nous permettait de grimper sur notre toit, après nous aviserions. Une fois sur les tuiles nous avions remarqués qu’étant placés au centre du lotissement, nous avions accès à tous les immeubles environnants.

    • J’aurais su avant, j’en aurais profité pour aller mater la voisine ! Gloussa-t-il.

Depuis qu’il avait emménagé il faisait une fixation sur une petite asiatique du quartier.

    • T’aurais eu de la concurrence. Ricanais-je.

Nous avions atteint un nouveau velux, placé sur un toit plus bas, à coups de pied nous défonçâmes le plexiglas et jetions un coup d’œil à l’intérieur. Une vision effroyable, digne des plus crade des Romero, s’offrit à nous. Autour de ce qui semblait être un corps se tenaient plusieurs créatures grisâtres, elles étaient à quatre pattes, encerclant le cadavre et semblant se repaître de ses organes, une mare de sang noirâtre inondait le sol. Un des monstres s’écarta du corps et se dirigea vers la tête, l’espace vide qu’il créa nous montra ce qu’il restait de l’infortuné qui leur servait de banquet, l’abdomen complétement ouvert, comme déchiré par les griffes d’un gros félin, les organes étaient à moitié dévorés et les intestins se répandaient en une matière visqueuse sur ses jambes. La créature qui s’en était écartée pris sa tête encore intacte entre ses mains décharnées, il la porta jusqu’à sa bouche et d’un coup de mâchoire éclata la boîte crânienne. Ce fut la curée, tous les monstres se précipitèrent sur la matière spongieuse qui s’écoulait et l’ingurgitèrent, certains léchaient même le sol, nettoyant toutes traces de cervelle.

    • Putain, c’est quoi ? Me souffla Eric.

    • Je sais pas, mais ils ont l’air d’avoir la dalle ! Gloussais-je.

    • C’est pas drôle bordel ! Y’a un mec qui est en train de se faire bouffer !

    • Désolé, c’est nerveux. Moi, ce genre de truc ça me fait penser à des zombies.

    • Quoi ? Des putains de zombies ! Mais ça n’existe que dans les films ou dans les jeux vidéos !

    • Ben, peut-être qu’ils avaient raison et que ça existe bel et bien.

Un des zombies, puisque nous avons décidé de les désigner ainsi dû nous entendre, il tourna son visage vers nous et ses yeux caves se fixèrent sur notre position.

    • Merde, il nous a repérés ! S’écria mon compagnon.

Il se dirigea vers le velux, bizarrement, malgré la situation je fis attention aux détails. Ses bras avaient une teinte rosée striée de marbrures grises, de même que son visage où seuls ses yeux morts et vitreux indiquaient qu’il n’était pas ou plus humain, sûrement pas vivant car l’humeur vitrée s’écoulait lentement sur ses joues, autour de ses lèvres oscillant entre le bleu et le noir des taches de sang formaient un maquillage glauque. Ses congénères remarquèrent notre présence et se dirigèrent vers nous. Ils se contentèrent de se placer en dessous du velux, bras tendus vers nous, en émettant des grognements gutturaux, comme s’ils nous invitaient à les rejoindre. Aucun ne pensa à disposer une table qui leur permettrait de nous atteindre, pourtant la pièce ne manquait pas de mobilier qui aurait pu servir d’escabeau.

Quoiqu’il en soit nous ne sommes pas restés suffisamment longtemps pour vérifier s’ils en auraient eu l’idée, nous avons décampé de notre point d’observation.

Retour à l’appartement :

    • Vous avez fumé ou quoi ? Des morts vivants ? Le ton ironique de Julie annonçait une longue explication que ni Eric, ni moi n’avions envie de subir.

    • Vas faire un tour dehors si tu ne nous crois pas ! Lui lançais-je tout en attrapant la bouteille de Vodka glacée.

    • Commencez pas comme ça ! Intervint Lionel. Moi je vous crois.

    • Moi aussi. Renchérit Guillaume.

    • Mais cela n’existe pas ! S’insurgea la petite blonde.

    • Il y a les zombies vaudou, les hommes que l’on a enterré vivants et bien d’autres phénomènes de résurrection. Comme le Christ. Sarah essayait de nous venir en aide, cependant je sentais qu’elle ne nous croyait qu’à moitié.

    • Ce ne sont que des histoires ! Rien n’est vrai ! S’énerva la toulousaine.

En y réfléchissant, les mecs étaient peut être plus enclins à accepter une invasion de goules. Les films de Romero ou de série Z, les jeux vidéos nous avaient peut-être largement conditionnés à cette éventualité.

    • Alors comment expliques-tu que le quartier soit désert ? Demandais-je à Julie d’une voix calme.

    • Je sais pas, ils sont partis.

    • Où ? Les rues sont encombrées de bagnoles, on peut pas se tirer par la route. Je lui dressais rapidement l’analyse que j’avais faite de la situation.

A contrecœur, elle finit par accepter notre version des faits mais se renfrogna et bouda le reste de la journée. Même Lionel ne parvint pas à la dérider avec ses pitreries.

Nous avions dès lors mis en place un plan de survie : Le Mode Survie. Nous décidions de piller les immeubles environnants à la recherche de denrées non périssable, pour constituer un stock, de produits d’hygiène et de toutes choses indispensables. Avec Guillaume et ses talents manuels nous mettions en place un système de passerelle avec du bois récupéré un peu partout, porte d’appartement, d’armoires, tout ce que nous pouvions utiliser. Puis nous décidions de partir pour notre premier raid.

    • Pensez à nous les gars. M’interpella Sarah.

    • Comment ça ? M’étonnais-je.

    • Il y a certaines choses auxquelles vous ne penserez pas et qui nous sont indispensables, à nous les filles. Elle me glissa un papier que j’ouvris.

    • La liste des courses ? Ironisais-je.

    • Et n’oublie rien surtout.

    • Va nous falloir un caddie. Gloussais-je.

    • Dégage ! Elle me plaqua un baiser sur la joue.

Je rejoins les autres gars sur le toit, pour les armes c’était encore du système débrouille, un couteau fiché au bout d’un manche à balai pour Lionel, une batte de base-ball, relique d’un de ses voyages aux USA pour Eric, Guillaume avait bricolé quelque chose qui me semblait assez dangereux à manipuler, au bout d’une ceinture il avait fixé un lourd hachoir à viande qu’il faisait tournoyer comme une fronde avant de l’abattre. Il m’en fit la démonstration sur une planche de bois, la puissance du coup me laissa perplexe, il avait fendu une porte renforcée ! Quant à moi j’avais fait simple et efficace, dans mon appartement je remis la main sur mon arc à poulie et avec l’aide des filles j’avais taillé des flèches.

    • Ça c’est du matos ! S’extasia Lionel.

    • Sûr, certains s’en servent pour la chasse, ça transperce un sanglier ! Let’s go ?

    • Rock’n’roll ! S’écria Guill.

Je pris ça pour un oui. Nous avions convenu d’une stratégie de déplacement. J’ouvrais la marche quelques mètres avant le groupe, en éclaireur, suivait Lionel, Guillaume puis Eric qui formait l’arrière garde. Nous essayions de faire le minimum de bruit possible, mais sur les tuiles cela tenait de l’impossible, elles cassaient dans des claquements retentissants, se détachaient et s’écrasaient plusieurs mètres plus bas en éclatant en dizaines de morceaux. Plus loin, nous nous arrêtâmes, nous ne l’avions pas dit aux filles mais ce raid n’avait pas que pour but de récupérer des vivres mais aussi d’éliminer un maximum de morts-vivants. A commencer par ceux enfermés dans les autres immeubles. L’opération ne posa pas de souci majeur, nous nous posions au dessus d’un velux en faisant un maximum de bruit, les zombies, attirés se mettaient à notre aplomb et il nous suffisait de les éliminer. Un coup violent sur la tête était la meilleure méthode, à condition d’éclater la boîte crânienne. Il y a, au bout du compte, une sacrée différence entre les films ou les jeux vidéos et la réalité. Il est facile de dézinguer du zombie, au chaud dans son canapé une manette entre les mains, de regarder un groupe de héros équipés de M16 aligner les cibles comme à l’entraînement. Cela ne nous fait pas ressentir le sang qui nous gicle dessus, humer l’odeur de la chair putréfiée, entendre les derniers râles de non-morts mourant et surtout, surtout, cela ne nous explique pas que face à nous il y a un voisin, un ami, un parent. La petite mémé que l’on croisait à la boulangerie et à qui on aurait aimé botter le train pendant qu’elle comptait sa petite monnaie, la petite voisine d’en face que l’on apercevait au travers de ses rideaux trop transparents et qui alimentait nos fantasmes, le voisin abruti qui garait sa Golf GTI comme si la rue était à lui. Tous ces gens que l’on aimait ou détestait se retrouvaient devant nous. Les premiers raids comme celui-ci furent éprouvants, puis, à croire que l’on s’y habitue nous faisions ça machinalement, sans plus aucuns état d’âme (ou presque).

Chaque immeuble nettoyé était noté sur une carte que nous avions dressée et quand nous ne procédions pas au « ménage », Eric et moi partions en reconnaissance, nous repérions les zones les plus infestées, les nids comme nous les appelions et les ajoutions à notre plan. Après quelques mois notre secteur s’étendait à peu prés sur trois rues et était débarrassé de ses zombies, du moins les bâtiments. Dans la rue c’était une autre paire de manche, les voitures créaient un véritable labyrinthe de tôles et nous empêchait d’agir à découvert. De n’importe quelle cachette pouvait surgir une des goules pour nous dévorer. Trop dangereux.

Au fur et à mesure notre zone sécurisée s’étendait mais nous restions confinés dans l’étroit appartement, comme si la promiscuité nous rassurait.

Mais aujourd’hui nous étions arrivé à un point de non retour, j’avais compris que rester dans cette situation c’était prendre le risque de faire éclater les dissensions au sein de notre groupe. Guill et Eric voyaient, depuis longtemps, d’un mauvais œil la relation ambigüe qu’entretenaient Julie et Lionel, Sarah s’exaspérait de notre manque d’ordre. Et moi au milieu je faisais la navette, calmant les uns, tempérant les autres et j’en avais ras le cul. Rester statique revenait à courir à notre perte et au final ce ne serait pas les zombies qui nous tueraient mais nous mêmes. Alors je décidais de prendre le risque, objectif le collège Henry IV et advienne que pourra.

Nous avions passé deux semaines à former les filles à nos codes et techniques de combat. Sarah se débrouillait bien, elle avait choisit une lourde poêle à paella au manche très long, lorsque je la vis pour la première fois avec je me moquais d’elle :

    • Ma grand-mère s’en servait pour corriger son mari et la douzaine de mômes qui lui couraient dans les pattes, c’est une arme qui a fait ses preuves ! Me répondit-elle avec le plus grand sérieux.

Elle illustra la remarque en me mettant un coup léger dans le genou, le poids et la vitesse de l’ustensile multiplia la puissance du mouvement et le choc fut brutal, une onde de douleur courra sur

ma pauvre jambe.

    • Tu vois, c’est efficace. Elle déposa un léger baiser sur mes lèvres en riant.

    • Merde ! Ça latte ! Beuglais-je.

    • Ne remet jamais en cause des techniques ancestrales pratiquée par des générations de femmes ! Tu veux que je te démontre l’utilité du rouleau à pâtisserie ? Minauda-t-elle.

La perspective m’effraya :

    • Non, ça ira, je te crois sur parole.

Julie, quant à elle, avait opté pour une arme non moins conventionnelle : un extincteur.

    • Tu m’expliques ?

    • On va jouer avec le feu ! Me déclara Lionel en me tendant des bouteilles de verre emplies de White Spirit et méchés à l’aide de tissus.

Je soupirais, pourquoi pas après tout, au programme méchoui de zombies pensais-je. Je repartis les équipes, d’un côté Lionel, Eric et Julie, de l’autre Sarah, Guill et moi. Nous avions repérés une rue qui nous semblait pratique pour accéder au collège, cependant il s’y trouvait une boîte de nuit et un restaurant, donc des goules à foison. Je vérifiais mes armes, mon carquois improvisé était plein de flèches, elles étaient constituée d’un corps en bois, d’ailettes en plumes de pigeon qui améliorait la portance et d’une pointe en acier, lourde et affûtée à la main, plusieurs heures de boulot, un véritable travail d’orfèvre. La puissance de l’arc associé aux projectiles permettait de transpercer une goule, je m’appliquais à viser la tête mais si le coup ratait, le zombie se retrouvais empalé par la puissance du choc et parfois même cloué à un mur derrière lui ou au sol. Eric se chargeait de la finition tandis que Sarah protégeait ses arrières.

Nous avions divisé l’opération en plusieurs étapes, la première, en passant par les toits consistait à sécuriser la zone et à nous ménager un trajet de repli, puis nous reformions le groupe en haut de la rue, éliminions un maximum de monstres au sol pour enfin nettoyer les rez de chaussées.

L’exécution de la première partie de ce plan ne fut pas difficile à réaliser, après avoir sécuriser les toits, chaque groupe d’un côté de la rue, nous nous retrouvâmes tous à même hauteur.

    • Hé, c’est ok pour nous ! Beugla Eric.

Je lui fit un signe du pouce, pour nous aussi ça roulait. Je me tournais vers Guillaume :

    • On descend ?

    • Je suis prêt. Il soupesa sa batte de base-ball, l’air concentré.

    • Ça va pas être aussi facile. Commentais-je à l’attention de Sarah. Elle se contenta de hausser les épaules.

    • On y va ? De l’autre côté Lionel s’impatientait.

    • Ouais, on se retrouve en bas. Criais-je.

Dans la rue, une fois regroupé, j’exposais la seconde partie du raid :

    • Je ne veux pas de mauvaises surprises, Guill, Eric et moi on fait le ménage dans tous les appartements, vous trois vous assurez nos arrières.

    • Ok, on reste ici et on vous attends, Approuva Lionel.

    • Restez prudents. Fis-je en guise de salut.

    • Non ! On ne sépare pas ! S’écria Sarah. C’est hors de question !

    • Putain, on a besoin de vous pour nous sécuriser, et c’est pas à l’intérieur que vous serez utiles ! Contrais-je.

    • Je te proposes que l’on reste devant la porte, comme ça s’il y en a qui essaient de sortir ou d’entrer, on s’en occupe.

    • Mais en cas de gros problèmes on y passe tous ! Mon dernier argument.

    • Cela vaut peut être mieux, cela nous évitera d’avoir a vous… Il ne termina pas sa phrase mais son regard en disait plus long.

    • Elle a pas tort. Intervint Eric. Qu’ils viennent, mais ils restent à l’extérieur.

    • J’ai pas franchement le choix. Concédais-je. Allons-y.

Nous slalomions prudemment entre les bagnoles laissées à l’abandon, elles encombraient la rue dans un chaos de tôles et de morceaux de verre. Le moindre interstices dans cet amas pouvait se révéler un piège mortel, trop de cachettes ou d’endroits d’où ils pouvaient surgir, méfiant nous longions le trottoir sur lequel suffisamment d’espace nous permettait d’avancer à deux de front. Avec une lenteur exaspérante nous atteignîmes le bout de la rue :

    • Côté pair ou impair ? Demanda Lionel.

    • Quoi ? Réagis-je.

    • Par quel côté on commence ?

    • J’en sais rien. Peu importe au fond.

    • Ok, on se la joue à pile ou face. Pile c’est les pairs, face les impairs., Il degaina une piéce de monnaie, objet désuet aujourd’hui, qu’il jeta dans les airs. Elle tournoya sur elle même avant qu’il ne la rattrape.

    • Pile ! S’écria-t-il.

    • Ok, on y va.

Pile, pair, cela nous forçait à traverser la rue, je laissais Eric et Guill s’y engager avec prudence, c’était nos deux meilleurs atouts en cas d’attaque frontale. Sur le trottoir d’en face ils me firent signe d’avancer. Je traversais le cimetière automobile, les sens à l’affût, me concentrant sur l’avancée et mes amis de l’autre côté. Je m’arrêtais net, un bruit sur ma gauche, un gémissement sourd et lugubre que je connaissait trop bien maintenant, j’encochais par réflexe une flèche, attentif au moindre mouvement. Je me tournais vers la source du son, Dans le siège conducteur d’un vieille Peugeot se débattait un zombie, il essayait de se libérer de la ceinture de sécurité. Je ne fis pas un geste, pas un bruit mais il me repéra, peut être l’odeur songeais-je. Il devint ivre d’une rage incontrôlée, luttant de plus en plus violemment pour se défaire de son entrave, il tourna sa face aux yeux absents, sa peau grise avait pris des teintes verdâtres et bleue, la décomposition faisait son œuvre. Fouetté par la conscience de ma présence il se débattit encore plus, gigotant en tous sens comme un forcené, il se cogna la tête a plusieurs reprises contre le volant et continuait comme s’il voulait l’arracher. Le manège dura un moment, puis il s’immobilisa et se retourna vers moi. Son nez n’était plus qu’un amas gélatineux de chair et de cartilage et sa mâchoire inférieure s’était décrochée, elle pendait mollement sur sa gauche, retenue par un muscle encore assez frais, elle tressautait au moindre de ses mouvements. Il poussa un râle de frustration, la complainte d’une agonie sans fin surgi d’une profondeur caverneuse et insondable. Je décochais un tir en pleine tête qui le cloua à son siège, il eu encore quelques spasmes puis cessa de bouger. Je me réfugiais auprès de mes amis.

Tout le monde nous avait rejoint, devant la première porte nous hésitions, qu’y avait-il derrière ? Qu’est ce qui nous attendait ? Si nos suppositions étaient exactes, rien, la population avait dû essayer de fuir et de quitter leurs habitations. Guill resserra ses mains sur sa batte et je fis un signe de tête à Eric, d’un coup de pied il ouvrit la porte. Un nuage de poussière nous assaillit. Et le silence, un silence comme nous n’avions plus entendu depuis longtemps, pas celui hostile de la bête tapie dans l’ombre guettant sa proie. Non. Celui serein du calme de la maison vide de tout occupant.

    • On visite les pièces une par une. Ordonnais-je.

    • Ok. Eric réagissait toujours rapidement et positivement, pas de récriminations.

Cela se répéta sur plusieurs immeubles, vides, tous. Nous avions atteint le milieu de la rue et le groupe au complet investissait méthodiquement les lieux, bien qu’un d’entre resta toujours prés de la porte, à nous avertir de tout mouvement suspect. Nous avions pénétré une maison de deux étages quand nous perçûmes des plaintes aigües, comme celle d’un chat qui miaule sans vraiment miauler. J’intimais aux filles de rester en arrière, ce son était trop étrange, trop différent. Eric m’accompagna, nous ouvrions une à une toutes les pièces, salon chambre, toilettes, désertes. La cuisine, les gémissements en provenaient. Avec précaution nous entrâmes, la première chose que je vis fut la table et le frigo, genre gros frigidaire américain qui bouchait une partie de la pièce. Les reliefs d’un derniers repas jonchaient la table et se décomposaient dans les assiettes, une fine coche de poussières grisâtres les recouvrait. L’odeur était suffocante, mais le peu de plats en putréfaction bien avancée, la teinte noirâtre qu’ils avaient prise l’attestaient, ne la justifiait aucunement, il y avait autre chose et cet autre chose faisait maintenant un potin de tous les diables. Des grognements rauques et caverneux se succédaient à des petits cris aigus et plaintifs, mettant nos oreilles au supplice.

Je contournais la table, avec toute la prudence nécessaire et requise, Eric me suivait de prés. La vision qui me frappa fut atroce et s’imprima dans mon esprit aussi profondément qu’un poignard chauffé à blanc dans une tome de beurre, j’en fais encore des cauchemars. Il nous fixait de ses yeux absents, deux petites cavités noires suppurant une mélasse sanguine et purulente, la chair de ses joues à la teinte verdâtre, rongée de pourriture, s’affaissait mollement dévoilant le nacre de ses pommettes et s’étalait en bajoues putréfiées. Lorsqu’il pris conscience de notre présence il s’excita, ses mains auxquelles manquaient des doigts se tendirent vers nous, sa mâchoire claqua, happant l’air et dévoilant quelques dents noires et gâtées. Il se débattait, se cognant contre le frigo sur sa gauche et le mur derrière lui. La chaise haute sur laquelle il était installé tanguait sous la violence de ses mouvements, je remarquais qu’une sorte de harnais fait de fil de fer le maintenait dans sa position :

    • Putain ! Gémit Eric.

    • Empêches les filles d’entrer ! Magnes ! J’avais réagit plus promptement que lui, ne pas perdre le contrôle, du sang froid.

    • Qu’est ce qu’on fait ? On se tire ? D’habitude si calme, il semblait perdre les pédales, merde c’était pas le moment !

    • On va pas le laisser comme ça ! Je le secouais.

    • Non, je peux pas, c’est trop ! Ce n’est qu’un bébé, un putain de bébé !

    • Faux, c’est un putain de zombie maintenant ! Il est prêt à nous bouffer comme il a dû bouffer ses parents !

Il me tourna le dos et se cacha le visage dans les mains, les épaules secouées par ses sanglots. Doucement je pris sa batte de base-ball qu’il avait laissé tomber sur le sol, a pas de loup je m’approchais de la petite créature, elle n’avait de cesse de gigoter, émettant des borborygmes aigus et sauvages. Ses orbites vides se fixèrent sur moi, deux puits noirs d’un néant insondable et trop réel.

Je me campais sur mes jambes serrant le morceau de bois de toutes mes forces, les jointures de mes doigts en blanchirent. Je fermais le yeux, pris une grande inspiration, expirais longuement, essayant de calmer mes tremblements. Putain ! Ce n’est plus humain ! Je tentais de m’en convaincre. Une autre inspiration puis une autre, à la prochaine je frappe. J’ouvris les yeux, vidant tout l’air de mes poumons, dans un mouvement fluide, presque involontaire de ma volonté, la batte se lança vers l’avant, elle heurta le crâne mou et stoppa contre le mur derrière lui. La répercussion du choc fit vibrer tout mon corps.

Hébété je fixais mon œuvre, la tête du bébé n’avait pas explosé comme je m’y attendais, elle s’était juste déformée, le haut du visage n’était plus qu’une bouillie informe de sang, de matière cérébrale et de cartilage étalée sur le papier peint. Sa bouche presque intacte vomissait une matière sombre et épaisse, noire comme du pétrole, je dû rester un moment ainsi, la batte contre le mur, le regard perdu dans ce papier peint morbide.

Eric me sortit de ma torpeur :

    • Faut pas rester là ! Viens, la nuit approche. On rentre. Il avait posé sa main sur mon épaule et me tourna doucement vers lui, très lentement il prit la batte de mes mains. Je le laissais faire.

J’avais retrouvé mon toit, le soleil couchant offrait aux tuiles des couleurs orangées et vertes sur lesquelles jouait les premières notes du crépuscule. Un bouteille de Vodka me tenait compagnie, elle était à moitié pleine, ou moité vide, entre les deux. J’observais la ville où j’avais grandi, faite de vieilles bâtisses et de monstruosité moderne, le paradoxe même de nos vie. Nous ne voulons pas nous séparer de notre passé et nous déformons notre présent, architecture moderne aux formes imposantes et carrées, logique et froide, sans âme.

Eric vint me rejoindre, il posa sa main sur mon épaule et s’assit pesamment, comme s’il portait le fardeau du monde. Nous restâmes un moment ainsi, silencieux à observer la nuit prendre sa place, l’alcool faisait des aller retour entre nos mains et la bouteille ne tarderait pas à être vide.

– Ça va ?

– Comme on peut. Articulais-je, je n’avais pas envie de parler.

  • Je suis désolé pour tout à l’heure.

  • C’est rien.

  • Je peux supporter beaucoup, j’ai supporté beaucoup. Soupira-t-il. Mais les gamins, c’est trop, je peux pas. Des larmes silencieuse coulèrent sur ses joues.

  • Je comprend, mais on n’a pas le choix, adultes ou gamin, on doit le faire. Répondis-je froidement.

  • Tu es en colère. Me fit-il.

  • Non, je ne peux pas être en colère. Il me faut un responsable pour l’être.

  • C’est nous les responsables. L’humanité, l’être humain.

  • Arrêtes tes conneries ! Ce n’est pas un punition divine ou un truc dans ce genre, c’est juste une putain d’épidémie ! Va savoir d’où elle vient. Et puis merde ! Songeais-je. Si Eric commence à perdre les pédales et à devenir mystique…

  • Reprends toi mon ami ! Perds pas la boule ! Je le secouais gentiment.

  • Merde ! C’est toi qui a écrasé la tête de ce bébé contre un mur et c’est moi qui me plains. Désolé.

Le silence s’invita dans la conversation, mais pas celui lourd de sous entendu et de non dit, plutôt un silence apaisant, de réflexion.

    • J’ai fait ce que je devais faire. Rien d’autre. Repris-je.

    • Je sais. Mais j’ai une autre question.

    • Vas-y.

    • Si… Dans l’hypothèse où, j’entends, nous rencontrons d’autres survivants. Qu’est ce qui se passera ?

    • J’en sais foutre rien. Je n’y ai pas pensé. Peut être nous devrons nous battre, nous défendre. Cela risque d’être eux ou nous.

    • Parfois tu me fais peur. On pourrait peut être s’associer avec des rescapés.

    • Tu as vu comme nous galérons pour trouver à bouffer ! D’un côté ou d’un autre aucun des deux groupes ne pourra se le permettre.

    • Fais chier. Je crois que tu as raison. Conclut-il.

    • Je n’ai fait que lui rendre service…

    • De quoi tu parles. S’étonna-t-il.

    • Du bébé… je ne pouvais pas le laisser comme ça.

    • Tu crois vraiment que nous les aidons ? Je veux dire en les tuant ?

    • Possible, je ne sais pas en fait, peut être que oui. Sont-ils conscients de leur états, ont-ils encore des sentiments, sont-ils encore humain ? Je ne suis jamais posé ces questions, depuis le début.

    • Et si c’était l’un de nous qui serait infecté ? Faudrait-il le tuer ?

    • Si cela m’arrive tue-moi. La frontière entre l’humain et le monstre est si fragile…

    • Tu n’es pas un monstre.

J’entendis la voix de Julie qui nous appelait pour passer à table.

    • Vas-y, j’ai besoin d’être seul.

    • Très bien, si tu as besoin je suis là.

    • Merci. Répondis-je.

Les trois jours qui suivirent furent arrosés d’une pluie battante, nous empêchant de sortir, nous restâmes cloisonnés, dans un huis clos étouffant. Lionel et Julie s’éclipsaient de plus en plus souvent, sous prétexte de trouver de la nourriture. Guillaume et Eric ne cessèrent de les charrier, Sarah semblait n’y pas faire attention, quant à moi, je m’en foutais royalement. Un peu de chaleur et de tendresse ne fait pas de mal dans ces circonstances. J’eus une explication assez houleuse avec les deux gaillards pour, au final, réussir à les convaincre de les laisser faire et d’arrêter leurs blagues stupides.

Temps nuageux, visibilité moyenne. Ce n’était pas le meilleur temps pour un raid, mais il fallait quitter le petit appartement avant que la tension n’explose. Retour sur zone, un calme plat règne, seul le vent sifflant au travers des carcasses de voitures faisaient entendre sa complainte lugubre.

    • En place, le collège est juste un peu plus haut. Ordonnais-je.

    • Let’s go ! Guill était plein d’enthousiasme, il semblait prêt à en découdre avec tout les zombies de la ville.

    • Restes prudent.

    • T’inquiètes.

La rue que nous nous apprêtions à prendre d’assaut était dans une pente légère, les premiers bâtiment s’élevait sur deux étages, ensuite se trouvait une boîte de nuit, un croisement et un restaurant. Potentiellement beaucoup de zombies. Puis après le restaurant, elle faisait un coude cerné par des maisons bourgeoises pour enfin remonter vers notre destination.

Le premier groupe, Eric, Lionel et Sarah, se dirigèrent vers le premier édifice tandis que nous restions en retrait. L’attente ne dura que quelques minutes, du toit Guillaume nous fit signe que tout était dégagé. Nous avions décidé d’avancer en parallèle, un groupe au sol, un sur les toits. Je m’arrêtais.

    • Merde ! M’exclamais-je.

    • Quoi ? S’inquiéta Sarah.

    • Faut qu’on change nos positions, je devrais être sur les toits.

    • Ça va aller comme ça. Me rassura Eric.

    • Ah ouais ? Et si une horde débarque, avec quoi ils nous protègent ? Les molotov ?

    • Putain, t’as raison. On est con. Souffla Guillaume.

    • On fera ça pour la prochaine rue. Intervint Sarah. Pour le moment Guill passe devant et moi je le suis, toi tu restes en arrière pour nous couvrir.

    • On fait comme ça, mais on trace. Approuvais-je.

Nous parvînmes sans encombres au croisement, le groupe du toit nous rejoignit. Je leur expliquais la légère modification de stratégie et changeais les groupes. Julie, Sarah et moi sur les toits; Guill, Lionel et Eric au sol.

J’emmenais ma troupe sur les hauteurs et leur rappelais la stratégie. De là haut je canarderais tout ce qui bouge, tandis que Julie utiliserait les molotov qu’elles portaient en ceinture. Pendant ce temps, en bas ils se chargeraient des goules qui pourraient surgir ou survivre à notre assaut. Le collège n’était qu’à cents mètres de nous, nous avancions prudemment, par chance les toits étaient plats et nous permettaient de progresser rapidement.

Quelques minutes plus tard le bâtiments de brique rouge se dressait face à nous, la grille d’acier peinte en verte était fermée et les murs d’enceinte de pierre claire étaient surmontées de fils barbelés, apparemment quelqu’un y avait tenu, ou y tenait encore un siège. Dans la rue, une masse grouillante de zombies se pressaient contre la lourde porte de métal, leurs râles emplissaient l’air de sons lugubres et caverneux.

    • Allez fais moi cramer tout ça !

    • Compris.

Julie n’hésita pas, elle amorça son premier molotov et le lança, son tir fut trop court et la bouteille s’écrasa contre une voiture, immédiatement le feu se déclara, embrassant la carcasse. La chaleur monta rapidement et les créatures au sol se retournèrent d’un bloc. Second lancer, le mélange inflammable se répandit au pied du groupe principal, il s’enflammèrent comme des torches, au travers des flammes nous pouvions voir leurs silhouettes se découper. Ils avançaient vers notre position, l’un d’entre eux se détacha de la masse et se dirigea hors de la zone brûlante, il se déplaçait lentement mais sûrement, dévorés par les langues calcinantes jaunes orangées. Tel un signal, un point de ralliement mouvant, il ouvrait la voie à ses congénères.

    • Merde, ils ont repéré notre position. Souffla Sarah.

    • Ne panique pas, tant que nous sommes en hauteur ils ne peuvent nous atteindre, il faut juste espérer que les autres ne se sont pas dévoilés. Tout en rassurant la jeune femme j’encochais trois flèches.

Ils étaient maintenant à deux ou trois mètres de l’immeuble, Julie jeta son dernier cocktail explosif dans la cohue qui se pressait. La chaleur nous submergea, l’odeur âcre et piquante des corps brûlant nous assécha la gorge, le brasier s’intensifia, portant avec lui une suie noire et grasse.

    • Reculez. Ordonnais-je, tout en plaquant un pan de mon manteau sur ma bouche et mon nez.

    • Ça va allez. Dû crier Sarah pour couvrir le ronflement de l’enfer qui se déchaînait plus bas.

    • Non, recules ! Ne respire pas la fumée !

Elle obtempéra, nous reculâmes le plus loin possible, observant les flammes qui s’élevaient toujours plus haut.

    • On perds le contrôle, on dégage avec que tout ne crame !

Nous avions détallés comme des lapins, sautant de toit en toit pour s’écarter de la fournaise pour enfin atteindre le second groupe qui bloquait la rue. Le calme bourdonna à nos oreilles.

    • Hé, c’est quoi ce bordel ? Glapi Eric en pointant du doigt la colonne de fumée grasse.

    • Julie s’est un peu lâchée sur les molotov. Fis-je.

    • Ben dis donc ! Tu les a chargé en napalm ou quoi ? Siffla-t-il,

    • Au moins c’est efficace, on se rentre, on va attendre que ça se calme.

Deux jours plus tard le panache de fumée n’était plus réduit qu’à un mince filet cendreux, nous remontions la rue, une odeur calcinée nous imprégnais les narines, malgré les chiffons que nous avions placés devant nos bouche par précaution. Les carcasses de voitures encore fumantes entravaient notre progression, par moment nos pieds écrasaient dans un bruit sec les restes de quelques zombies carbonisés. Nous arrivâmes devant la haute grille du collège Henry IV, pas un son ne perturbait l’air. Pas même les oiseaux. Chose qui nous accompagnait s’approcha de la porte, ridiculement petit face à sa taille. Il huma l’air à la manière fébrile des chiens puis s’assit. Aucun danger de l’autre côté. Guillaume, toujours plein de bon sens, avait prévu une échelle assez haute pour franchir l’enceinte, il la plaqua contre le mur et s’y engagea.

    • Ça à l’air désert. Souffla-t-il après avoir jeté un coup d’œil. Je passe de l’autre côté.

    • Ok, soit prudent. Fis-je.

Il se retourna vers moi et me fis un clin d’œil. Puis il disparut.

Notre attente fut perturbée par les jappements du ratier, son poil s’étaient hérissé et il fixait une double porte en bois massif un peu plus haut. D’un coup il bondit en avant et s’y rua. Julie voulu le retenir :

    • Reviens ! Hurla-t-elle. Reviens, tout de suite !

Mais il l’ignora et continua sa cavalcade vers la chapelle.

    • Y’a quoi dans ce bâtiment ? M’interrogea Lionel.

    • Rien, à ma connaissance, elle servait de salle d’expo. Allons voir. Conclus-je en armant mon arc.

Nous suivîmes le clébard, arrivé à hauteur de la lourde nous remarquâmes que le feu avait à moitié rongé les planches, perçant de petites ouvertures ici et là. Chose s’engouffra dans une de ces brèches.

    • Non, reviens ! Gémit la petite blonde.

    • Putain, il fait quoi le clebs ? Guill nous avait rejoins. J’ai réussi à ouvrir la grille, on peut rentrer.

    • Ok, on y va. Ordonnais-je.

Lionel attrapa Julie par le bras :

    • Viens, il reviendra. La rassura-t-il.

Mais elle restait prostrée, hébétée devant la porte. Elle secoua la tête et s’avança.

    • Je vais le chercher. Fit-elle d’une voix blanche.

    • Non, c’est trop risqué, on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Tenta de l’en empêcher son compagnon.

Elle ne s’arrêta pas, arrivée à deux mètres son visage se décomposa, elle se retourna vers nous et souffla :

    • Là, on est vraiment dans la merde.

Une horde de goules défonça la porte et se jeta sur elle, la plaquant au sol, impuissante. Ses cris de douleurs vrillèrent nos tympans et nos esprits, ils la dévoraient vivante. Une mare de sang noirâtre s’étala sur le bitume et nous entendions les mâchoires des créatures s’activer, les os de la jeune femme craquait sous leurs dents.

    • Nooonn !!!

Lionel hurla en chargeant les goules en plein festin. Il parvint à en écarter quelques unes, assez pour voir que notre amie n’avait plus qu’un trou béant à la place de l’abdomen, ses viscères répandues sur le sol palpitaient encore de vie, tels des serpents grisâtres et striés de sang. Elle était encore consciente mais ne semblait plus sentir la douleur. Sarah se retourna et vomi. J’entendis les dents d’Eric grincer et la respiration du colosse s’alourdir.

J’observais le spectacle, comme hypnotisé, les zombis se repaissant des entrailles de la toulousaine, plongeant leurs têtes directement dans son cadavre, tirant avec leurs dents sur ses boyaux jusqu’à ce qu’ils cèdent en projetant des giclées de nourriture digérée. L’un d’eux nous repéra, la bouche encore pleine d’un morceau de foie dont la bile lui dégoulinait sur le menton, laissant des coulures plus claires sur sa peau putréfiées. Avant qu’il ne puisse se lever une flèche lui transperça le crâne de part en part, d’instinct j’avais tiré. Et je continuais, comme mû par un automatisme infernal, chacun de mes traits touchaient sa cible, mais sans cesse il en sortait de la chapelle. Lionel se défendait de son mieux, protégeant le corps de sa bien aimé en imposant un barrage de rage et de coup à ses assaillants. Plusieurs têtes explosèrent, répandant une mélasse flageolante, cependant il fut rapidement débordé par le nombre et dans un :  » Je vous emmerde ! » tonitruant il fut happé par une nouvelle vague d’attaquants.

    • On se repli dans le collège. Vite ! Ordonnais-je. Allez-y, je vous couvre.

Eric ne discuta pas, il attrapa Sarah par le bras et la traina de force avec lui. Tout en reculant je décochais flèches sur flèches aux goules, tant d’autres arrivait, il me fallait fuir de suite. Sans demander mon reste je me ruais à la suite de mes amis. Je slalomais entre les carcasses de voitures quant une main agrippa ma cheville, d’un coup de Ranger je l’écrasais et de l’autre pied j’éclatais la tête de la goule cachée sous un essieu, son crâne fit le même bruit qu’une coquille de noix sous un marteau, de la cervelle inonda le bas de mon treillis. Le salopard m’avait retenu suffisamment pour que mon avance sur la meute ne soit plus que de quelques décimètres, assez pour ne pas me faire attraper, trop peu pour être en sécurité.

Les dix mètres qui me séparait de l’entrée furent une éternité. J’avançais comme au ralenti, avec la certitude que dans peu de temps une main se serrerais sur ma nuque et que des dents broieraient mes cervicales.

Et cela arriva, une main froide et puante se saisit de mon col et me retint, je me débattis mais sa force était impressionnante. Tant que je maintenait la goule à distance elle ne pouvait me mordre et mes chances de survie restaient valables, plus ou moins. D’un coup sa tête s’écrasa sur elle même, les globes qui restaient de ses yeux se répandirent sur ses joues, sa main relâcha son emprise, en me libérant je vis un morceau de bois se retirer de la carcasse, Guill m’observa :

    • Un coup de main ?

    • Merci. Soufflais-je.

    • Pas de quoi.

    • On se casse.

Nous reprîmes notre course lente et exaspérante, entravés par les voitures et les décombres. Mais nous parvînmes au portail. Eric le défendait face à une nouvelle meute, son arme tournoyait dans les airs, tranchant un bras, une jambe, une tête qui volait dans les airs pour s’écraser plus loin. Sans nous concerter nous chargeâmes, nous frayant un passage dans le petit groupe de zombis.

    • Rentres ! Hurlais-je au noir.

    • J’arrive ! Répliqua-t-il.

Son arme toujours tourbillonnante il recula pas à pas jusqu’au niveau du portail. De mon arc je l’aidais à contenir la masse de zombis déferlantes en vagues gémissantes. Lorsqu’il se fut assez replié dans l’enceinte Guill poussa la lourde porte d’acier. Un des monstres, un peu plus rapide que les autres se trouvait déjà dans l’ouverture, la grille se referma sur lui et le géant poussa de toutes ses forces. Le zombi se retrouva dans un étau, son corps fut broyé par la force du maçon et le poids de la lourde. Sarah s’empressa de l’entravée avec une grosse poutre d’acier.

Nous nous observâmes :

    • On a eu chaud ! Souffla Eric.

    • Ouais, mais c’est pas fini. Intervint Guill en indiquant la masse de mains qui tentaient de franchir les barreaux.

    • Ça, c’est rien. Ricana Sarah.

Elle s’empara du hachoir d’Eric et entreprit de trancher méthodiquement tous les membres qui dépassaient :

    • C’est notre territoire maintenant. Faut leur faire comprendre !.

Je soupirais, à la fois de soulagement et d’exaspération. Cela ne finirais jamais. Je m’assis et remarquais quelques choses d’étrange.

    • Guill, viens voir.

Il s’approcha de moi :

    • Quoi, qu’est ce qu’il y a ?

    • Tournes-toi.

Il obéit sans rechigner.

    • Tout va bien, tout le monde est ok ? M’enquis-je.

    • Ouais. Ils me répondirent en cœur.

    • C’est quoi le problème avec Guill. S’inquiéta Eric.

Je saisis ce qui m’avait intrigué, une main de zombis encore agrippé à la cheville de Guill, le poignet n’avait pas été tranché par une arme blanche, mais il s’était comme détaché de son propriétaire.

– C’est pas un problème mon pote ! ! Gloussais-je. C’est une putain de bonne nouvelle !

FIN




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