07
Mar
12

Invasion

Invasion

« Ils sont là ! », « Ils existent ! »

Dix ans ont passé depuis que la presse nationale exhibait ces gros titres, dix longues et courtes années. Aujourd’hui, plus rien, on ne parlait plus « d’eux », comme s’ils n’étaient que le fruit d’un sombre rêve, d’une hallucination collective.

« Ils » ce sont les extraterrestres, ils sont apparus un beau matin, leurs immenses vaisseaux postés audessus de chaque capitale, je me souviens encore des photos. Des coupoles gigantesques dominaient les cités, les journalistes rapportaient qu’elles englobaient le centre et les banlieues proches, éléments monstrueux dans les cieux sereins de nos vies. D’autant plus que les photos étaient floues, comme si les appareils numériques n’en croyaient pas leurs autofocus.

Au début, nous prenions ça pour un canular, une mauvaise plaisanterie concertée et concoctée par des journalistes en manque de sensationnel. Mais rapidement la réalité nous rattrapa.

L’apparition des vaisseaux spatiaux s’était accompagnée d’une seule manifestation. Non, ils n’avaient pas utilisé la force brute en rasant des villes, ils s’étaient montrés beaucoup plus malins.

Ils avaient détruit tous nos systèmes de communications, tous : plus de téléphone, plus de portable, plus d’internet, plus de radio et horreur suprême pour des milliards d’entre nous, plus de télévision.

Seule la presse nous apportait des informations sporadiques et le plus souvent invérifiables, j’appris ainsi que les USA avaient tenté d’attaquer la nef au dessus de Washington, l’Iran aurait fait de même. Sans résultat, sans réaction. Les entités venues de l’espace s’étaient contentées d’encaisser, sans bouger, sans riposter, déconcertant les États-Majors. Puis on envoya des délégations, la Suisse reconnue pour sa légendaire neutralité dépêcha ses diplomates, ils attendirent en vain des mois au pied de la flotte. Puis ce fut le tour des scientifiques, aucun ne put donner d’explications probantes ni déterminer la provenance des soucoupes.

Alors, bien que les gouvernements faisaient semblant de maintenir une normalité rassurante, tout s’effondra. Cela commença par l’économie mondiale, les centres financiers incapables de communiquer rapidement entre eux se résignèrent et jetèrent l’éponge. Les multinationales suivirent, elles ne purent s’adapter à la nouvelle situation, ce qui profita à l’artisanat et au commerce local.

Du côté de la population, le premier mouvement de panique passé, durant lequel on vit les franciliens affluer dans les campagnes environnantes, vint une froide acceptation. Le fait de constater la non agressivité de ces entités extraterrestres soulagea et les communautés s’adaptèrent rapidement. On vit la résurgence de métiers presque oubliés : le cordonnier, le crieur public, l’épicier, le raccommodeur, le rémouleur réapparurent dans nos villes. Les rezdechaussée des HLM étaient devenus de véritables centres commerciaux où tous les voisins se côtoyaient.

Après la crise économique et la réadaptation sociale survint un chamboulement spirituel, il couvait déjà depuis la découverte du système solaire Lémuria dans lequel on découvrit une planète pouvant accueillir la vie. Les religions monothéistes furent violemment remises en question et nombre d’églises, de mosquées, de synagogues furent prises d’assaut par la vindicte populaire.

D’autant plus qu’aucun système religieux ne put fournir d’explications valables à existence des extraterrestres, le Pape Jean-Paul XII se contenta d’émettre une bulle reconnaissant les entités spatiales comme créatures divines, en vertu du fait que Dieu est le fondateur de l’univers. Ce ne fut pas suffisant, les fondements de toutes les théologies furent remis en cause et un peu plus de deux millénaires de croyance furent balayés.

Vint l’essor des religions cosmiques, l’humanité porta un intérêt croissant aux civilisations précolombiennes et à la Haute Egypte, se convainquant que ces deux peuples avaient connaissance de l’existence des extraterrestres. De nouvelles religions firent leur apparition, issues du terreau de la science-fiction populaire, deux groupes importants s’élevèrent de la masse : les Star Trekkien qui maintenaient une vision futuriste et idéalisée de la présence des créatures spatiales et les Lovecraftiens, plus sombres et pessimistes, ils prédisaient un changement total de nos façons de vivre et une évolution de l’esprit humain.

Trois années s’étaient écoulées depuis l’apparition des vaisseaux, l’Homme changea subtilement, après les différentes crises et la pénurie de carburant, il redécouvrit la production autonome, les transports non polluants. Peu à peu les rivalités entre États s’estompèrent, les enjeux économiques étant moindres. Le Golfe Persique redevint une zone calme, de même que l’Extrême-Orient, totalement désorienté et incapable de réaction. Le Monde retrouva un équilibre et les disparités entre le Nord et le Tiers Monde appelées à disparaître définitivement.

Le seul média à notre disposition était la presse, elle se concentrait principalement sur l’activité locale et ne diffusait que peu d’informations internationales, qui de toutes façons arrivaient avec des mois de retard du fait de la perte de nos moyens de communication rapides.

Les citoyens portèrent alors un intérêt croissant à leurs villages et villes, s’impliquant de plus en plus dans sa vie quotidienne. De nouveaux conseils furent créés où les anciens avaient leur place. On reconnaissait leur savoir et leur sagesse, ils devinrent des éléments indispensables qu’il fallait à tout prix préserver.

Quant à moi, ayant toujours été d’un naturel misanthrope et solitaire j’observais mes voisins se débattre pour s’adapter. Depuis longtemps je possédais mon propre potager, quelques poules et lapins qui me fournissaient œufs et viandes. Je n’achetais que le strict nécessaire et ne m’embarrassais pas d’un confort dispensable. Je vis l’arrivée des soucoupes volantes avec soulagement, me disant que quelqu’un s’était décidé à faire le ménage. Je fus déçu qu’il n’y ait aucune réaction de leur part, pas d’explosion, pas de villes rasées, pas de menace. L’attitude qu’ils avaient adoptée avait rassuré la population, cependant je ne pensais pas de même et surtout, j’étais avide de réponses. Au fil des ans, ma curiosité s’intensifia, avec elle, l’impression que la situation n’était pas comme elle devrait l’être s’amplifia. Je pensais que nous aurions dû être asservis par ces êtres supérieurs, ou annihilés. Rien de tout cela n’était arrivé, était-ce rassurant ou inquiétant ?

Un jour que je lisais le journal, la rubrique nécrologique en était l’article le plus violent, à croire que l’homme n’avait plus de haine ou de colère envers luimême, je pris ma décision.

Je voulais en avoir le cœur net, je doutais de la réalité de ces événements. Je fis mon paquetage, ce qui fut assez rapide, ne prévoyant pas une absence trop prolongée. J’avais deux hypothèses en tête :soit cela était une vaste supercherie et je perdais mon temps, soit cela était absolument réel et la zone serait sous contrôle militaire. Dans tous les cas, ayant tout mon temps je me mis en route vers Paris, à deux jours de marche. Avant l’on m’aurait qualifié de banlieusard, deux heures de RER et me voilà dans la capitale, aujourd’hui nous étions vraiment coupés d’elle.

Mon voyage se déroula sans encombre et je parvins sur le périphérique Francilien, je me serais cru à Amsterdam, Copenhague, Pékin ou Dehli, ou les trois réunies tant la foule de cyclistes était dense. Quelques rares privilégiés montaient des chevaux, un luxe dans cette nouvelle société où on considérait ces quadrupèdes comme des steaks ambulants.

De là où je me trouvais je n’apercevais pas encore la ville ellemême et le ciel ne m’offrait qu’un horizon bouché par quelques cumulo menaçant de crever à tout moment. J’avançais donc d’un pas tranquille mais assuré, ménageant mes forces. En fin de journée j’arrivais sur une sorte de promontoire qui offrait un spectacle impressionnant.

J’avais vue sur toute la capitale, la Seine traînait langoureusement sous les ponts tandis que la Tour Eiffel pointait sa flèche encore plus rouillée vers un vaisseau…

Un putain de vaisseau spatial ! Là, j’en suis resté baba, comme deux ronds de flan, quoique le flan aurait été plus réactif. Ainsi, c’était vrai, ils avaient bel et bien débarqué sur Terre ces foutus aliens ! Depuis le temps qu’on nous prévenait ! Ils étaient là ! Tranquilles, lévitant au dessus des monuments parisiens, leur énorme machine englobant tout Paris intra-muros. L’extrémité de leur coupole formait une sorte de frontière tacite entre notre monde et le leur. Vache ! J’en tombais sur le cul ! Et j’en perdais mes bonnes manières. Je restais là ébahi à observer cet engin sorti d’un mauvais film de série Z tant il était hideux de sa banalité déconcertante. Oh oui ! Il ressemblait en tout point à ce que nos cerveaux étriqués d’humainsauraient pu imaginer comme moyen de transport pour les extraterrestres. Merde, ils pouvaient pas prendre le train ? Comme tout le monde. Je dus m’asseoir un bon moment et perdre la raison pour de bon, c’était trop incroyable, inconcevable, inimaginable, aberrant, étonnant, réel. Je gâtifiais un bon moment en ressortant tous les adjectifs superlatifs que je connaissais.

La nuit était tombée et la navette masquait la lune et les étoiles, plongeant la ville dans un noir complet, j’observais toujours, guettant une réaction, une preuve de vie. Rien, pas une lumière n’éclairât le flanc de la machine, pas le moindre clignotant prouvant sa présence, juste une ombre plus dense et plus compacte que la nuit.

Je dus m’endormir car je rouvris les yeux dans un sursaut, mes synapses mirent quelques instants à se reconnecter, à la vue du vaisseau tout me revint. Cependant, le chromosome reptilien, celui qui conditionne la survie se réveilla, il injecta à mon hypophyse une légère dose d’instinct animal, il me disait une chose et une seule : quelque chose cloche.

Oui, mais quoi ? Inconsciemment j’en avais conscience, les pièces ne collaient pas, il y avait une faille quelque part. J’avançais, m’approchant un peu plus de la nef spatiale, au dessus demoi elle formait un ciel de métal, aucun rivet ne scellait les plaques entre elles, à croire qu’il avait été construit dans une seule et même gigantesque pièce, par endroitsdes espaces sombres formaient des trous dans la coque, peutêtre un système de ventilation, de videordures ou d’évacuation des eaux sales. En étudiant le sol sous un de ces orifices, j’en conclus à la première explication, pas de traces de déchets quelconques. En tout cas, ils étaient bien trop hauts pour envisager d’y accéder.

Encore une fois, mon instinct se manifesta. Le silence. Lourd, pesant, un silence métallique. J’observais autour de moi et ne vis aucune trace de vie, pas d’insectes, de rongeurs, pas d’humains. Je distinguais pourtant des check-points militaires, les sacs de sable entassés et les barricades de béton disposées afin d’empêcher tout véhicule de sortir, à moins que ce soit l’inverse, pour les empêcher d’entrer. Nous avions entendu parler d’une communauté de Star Gatiens qui avait tenté de prendre d’assaut le vaisseau au dessus de Washington, ils avaient été repoussés par l’armée et déploraient quelques morts. Toutefois, il était étrange que l’armée ait délaissé ces points de contrôle, en général, elle l’avait prouvé, elle était plus difficile à déloger qu’un ténia ayant pris ses aises dans les intestins d’un chien errant.

Son absence, cependant ne me dérangeait pas plus, mieux cela m’arrangeait, aucun risque d’être arrêté durant mon exploration. Le plus gênant, c’était cette absence de vie, pourtant aucune trace de destruction n’était visible, étrange. De plus le vaisseau lui-même aurait dû faire du bruit, un bourdonnement, des grands SWOUUUFFS quand il relâchait de la vapeur, ce genre de sons. Là rien, un silence de mort, pétrifié par son propre silence.

Pour tromper ma peur naissante, je me mis à étudier le vaisseau, j’étais maintenant assez proche pour en englober une bonne moitié. Je remarquais alors qu’il était constitué de deux parties distinctes et non raccordées. La première, ce que j’appelais le corps de l’engin et où je supposais que les extraterrestres avaient leurs espaces de vie d’où ils sortaient et entraient par téléporteurs n’ayant pas vu de point d’accès au sol, était un vaste cercle de plusieurs kilomètres de diamètre qui tournait lentement sur luimême dans le sens de rotation de la terre.

La seconde partie m’intrigua, bien qu’éloignée de moi j’en distinguais certains détails. C’était un haut cylindre métallique, il dépassait du corps et frôlait le sol, de couleur métallisée il était sporadiquement strié d’éclairs blanchâtres courant de bas en haut sur son tronc. Il me semblait qu’il tournait lui aussi, mais dans le sens inverse. Je supposais que c’était le centre d’énergie du vaisseau, son noyau. Je décidais d’en faire la prochaine étape de mon exploration. La soirée s’était déjà fort avancée et seules les vagues d’énergies apportaient une lumière intermittente. C’est dans cette ambiance stroboscopique que j’installais mon camp.

Le lendemain le silence me réveilla, perturbant. Je crapahutais dans les rues de Paris abandonnée, la nature y reprenait, par endroits, ses droits. Des plaques de verdure déchiraient épisodiquement la chaussée, des racines d’arbres explosaient les trottoirs révélant la face intime du végétal.

Je me rapprochais de l’objet de ma quête, le cylindre étrange et étranger, le repérant entre deux immeubles, inéluctablement je l’atteindrai.

Au détour d’une ruelle je débouchais sur un terrain vague, envahi d’herbes hautes roussies qui tanguaient dans une houle imaginaire, je ne sentais aucun vent. En son exact centre se tenait le cylindre, je notais qu’en plus de sa rotation il était animé d’un mouvement de balancier de haut en bas, ma curiosité me poussa à m’approcher encore plus pour enfin arriver à seulement quelques pas, les émanations de lumières blanches se firent plus rapides, plus rapprochées, comme s’il avait détecté ma présence. La température chuta brutalement pour remonter tout aussi vite, générant des variations brutales mettant à mal mon organisme. Je suffoquais sous la chaleur, grelottais sous le froid, n’arrivant plus à réguler ma température interne. Mon cerveau semblait bouillir, résonnant d’un bourdonnement incessant qui devenait un sifflement aigu lors du passage au froid, une lame propre et tranchante le traversant, mes yeux pleuraient puis séchaient, mes mains gercèrent douloureusement et toute ma peau se flétrit. Je titubais, encore quelques pas en avant, je voulais toucher cet objet, m’assurer de sa froide réalité. Je m’effondrais.

Si près du but, de cette curieuse obsession, de cette soif presque étanchée. Savoir, connaître, faire la part de réalité et de fiction.

Néant, ténèbres cotonneuses dans lesquelles mon esprit s’enfonçait doucement. Absence de pensées, de souvenirs d’avoir été ou d’être. Néant.

Lumière, réveil brutal et retour dans mon corps, meurtri, angoissé, déconnecté du système nerveux.

Néant.

Nouveau réveil, instinct primitif revenant à la charge, vis, survis. Peu importe ce que tu as à y gagner ou à perdre. Vis, survis. Vis, survis. VIS !

Néant, encore.

Troisième réveil, la lumière blanche transperce mes paupières, irritant la rétine. Brouillard, je ne perçois rien, rien d’autre que ce cercle aveuglant, d’une vitalité pure, aveuglante. Des sons de pas sur un carrelage, des chuchotements, une porte qui coulisse, silence.

Je dus m’habituer à l’éclairage au bout d’un moment, les yeux grands ouverts je fixais un plafond blanc et nu, immaculé, seul le cercle gris d’un éclairage scialytique tranchait cette vision, trois des quatre projecteurs étaient éteints, atténuant sa violence.

Je vérifiais mon appareil moteur, d’abord les orteils, puis les mollets, les genoux, les mains, les bras, tout semblait opérationnel. Cependant j’avais l’impression d’avoir la tête insérée dans un casque de moto trop étroit et que l’on me faisait tourner rapidement sur moimême.

Je dus me rendormir, lorsque je revins à moi, mon esprit était plus clair. La réalité reprenait un sens, mais lequel ? J’aurais bien été en peine de le dire, de le comprendre. La salle qui m’accueillait était aussi immaculée que le plafond, faïence blanche sur les murs et le sol. Je reposais sur une sorte de lit d’opération, gris, métallique et fonctionnel, plus une table de morgue, en réalité. Serais-je mort ? Absurde. Je libérais mes jambes et m’assis, je n’étais pas entravé. Etrange. Je m’imaginais être l’objet d’une expérience, que ces extraterrestres m’avaient utilisé à des fins de recherches, mais aucune marque ne couvrait mon corps. Ce qui ne prouvait rien, absolument rien.

Les jambes flageolantes je fis le tour de la pièce, tâtonnant le mur à la recherche d’une ouverture. Je n’en découvris aucune, pas la moindre fissure ou rainure prouvant l’existence d’une porte, je finis par revenir à mon point de départ et me rallongeais, en attente.

Une nouvelle fois j’ai dû m’assoupir, en me réveillant j’avais retrouvé une certaine vigueur et je remarquais la marque d’un cathéter dans le pli de mon coude. Quelqu’un ou quelque chose était donc entré pour me poser une perfusion. Je remarquais au pied du lit des vêtements propres, ceux que je portais avant de m’évanouir. Je ne l’avais pas remarqué, ou fait attention mais je me promenais nu. Rapidement je m’habillais, retrouvant un semblant de sécurité et d’assurance par ce geste rituel. J’explorais de nouveau la salle, à la recherche d’une issue, mais comme la fois précédente je me heurtais à des murs blancs et parfaitement lisses.

Je retournais à mon lit et remarquais un système électrique permettant de le lever et de l’abaisser, je m’amusais avec et l’élevais jusqu’à ce que mes pieds ne touchent plus le sol, puis le rabaissais brusquement. Cela trompait mon ennui.

C’est ainsi qu’ils me surprirent.

La position haute au maximum, les pieds ballottants, pédalant le vide.

Un pan de mur entier coulissa en silence, s’effaçant et laissant apparaître trois hommes. Deux en encadraient un troisième. Ce dernier m’intéressa vivement, il portait un jean délavé, des baskets plutôt usées et un t-shirt ample qui tombait mollement sur sa ceinture. L’air décontracté il arpenta la pièce les mains dans les poches. Puis il leva le regard sur moi, de ma hauteur, il me semblait assez petit, frêle. L’envie de le cogner me prit, passer ma rage sur quelqu’un me semblait une bonne mesure. Cependant mon instinct reptilien fit surface et refréna cette envie, l’animal avait perçu les prédateurs. Les deux gorilles en uniformes qui s’étaient plantés dans l’ouverture, ils ne semblaient pas armés mais tout à fait capables de me réduire en pâté lyophilisé pour astronaute avec leurs seules mains.

Je fis descendre mon perchoir et observais le jeune homme, il ne devait pas avoir plus de la vingtaine, des lunettes rondes masquaient des yeux vifs et malicieux, quelques taches de son, rappelant la rousseur de ses cheveux, tachetaient son visage au nez et aux lèvres fins. Foutrement humain me dis-je. Je lui fis remarquer :

– Vous êtes…. humain ? J’hésitais tout de même à sortir cette évidence.

– J’imagine que vous vous attendiez à des octopodes spongieux venus d’une civilisation inter-galactique ? Ou quelque chose de ce genre ? répondit-il d’une voix fluette et amusée.

– Ben, ouais. Fis-je assez platement et déconcerté par sa remarque.

– Ce n’est pas le cas. Il avait perdu son sourire affable et devenait sinistre. Savezvous que vous nous avez inquiétés ? Me questionna-t-il. Votre curiosité est des plus malsaines.

– Moi ? M’étonnais-je. J’étais incapable de comprendre ce qu’il me disait.

– Qui d’autre ? Vous êtes le premier à approcher d’aussi près notre noyau, notre Vérité. Il prononça le dernier mot avec emphase. Et si vous la découvriez, tout serait perdu. Le Nouvel Ordre n’aurait pu être.

– Attendez ! M’écriais-je. J’entrave que dalle à ce que vous me racontez. De toute façon, vous pouvez me supprimer comme bon vous semble.

– Le Nouvel Ordre ne tue pas. Contra-t-il, froidement.

– Alors,je suis prisonnier. Conclus-je.

– Nous préférons le terme invité ou hôte. Corrigea-t-il avec le plus grand sérieux.

– Je n’ai pas le choix alors. Je prenais en compte cette nouvelle réalité.

– Bien, vous êtes quelqu’un de… Il chercha ses mots. De… sensé. Tant mieux, cela nous évitera à tous deux d’arriver à de fâcheuses extrémités. Il frotta ses mains fines l’une contre l’autre et me fit un timide sourire.

– Je veux juste comprendre. Où suis-je ? Que voulez-vous ? Questce que le Nouvel Ordre ?

– Trop de questions, chaque chose en son temps. Suivez-moi je vous prie. Il s’engagea dans l’ouverture et je lui emboitais le pas. Les deux gardes du corps m’encadrèrent, semblant prévenir toute tentative d’agression ou d’évasion. Je leur fis un grand sourire :

– Je ne risque pas de tailler. Fis-je. Je ne sais même pas où je me trouve ni comment sortir, alors…

Ils comprirent et s’écartèrent un peu de ma personne, compréhensifs pour des primates.

– Vous êtes actuellement sur Aube Nouvelle. M’informa ce que je soupçonnais être un scientifique. Nous sommes en lévitation au dessus de Paris.

– Je suis dans le vaisseau ?

– En effet.

Nous traversions de longs couloirs lisses et grisâtres, uniformes et monotones. Mon guide reprit la parole :

– Savez-vous que votre curiosité vous a sauvé ? Nous aurions pu vous laisser agoniser aux pieds du noyau.

– Je croyais que vous ne tuiez pas ?

– En effet,mais dans ce cas présent, ce n’aurait été qu’une négligence de notre part, vous vous êtes approché trop près sans protection. Mais je vous disais, nous apprécions votre détermination, elle mérite une récompense.

– Je veux juste savoir et comprendre.

– Comme beaucoup. Gloussa-t-il. Comme beaucoup, mais peu se sont montrés aussi…Encore une fois il chercha son mot. Pugnace.

Au détour d’un de ces longs couloirs nous débouchâmes dans une vaste salle circulaire. Il y régnait un intense brouhaha, le bourdonnement lancinant de milliers d’écrans connectés à des serveurs informatiques faisait contrepoint à la mélodie des signaux d’alerte. Sur de vastes pupitres des voyants clignotaient dans un balletmulticolore. Rouge, orange, vert. Vert, rouge, jaune, orange. Plusieurs hommes s’activaient tout autour, vérifiant les moniteurs, enregistrant les données, nul ne prêtait attention à nous.

– La salle de contrôle. M’informa le jeune homme.

– J’avais compris. Ironique. Comment fonctionne-t-il ? M’intéressais-je.

– Le noyau central crée un champ magnétique très puissant, ce qui permet à l’ensemble de léviter et au corps de se maintenir à distance égale.

– Donc, si on détruit le cylindre, tout s’effondre ?

– Possible, mais n’essayez même pas. Il est conçu de sorte qu’aucune arme humaine ne puisse le toucher, pas même la bombe atomique.

– Comment est-il alimenté ?

– Simplement, il s’auto-alimente de l’énergie tellurique, il capte la chaleur du sol et les radiations solaires ou lunaires. Parfois il faut un peu augmenter la puissance et on utilise alors l’énergie des autres planètes, en dirigeant les satellites. Mais ce n’est qu’une explication succincte, je ne suis pas spécialiste de ce genre de choses. Vous devriez vous renseigner auprès des mécaniciens. Il m’indiqua un carré où se trouvaient trois hommes en tenue blanche, la barbe mal rasée.

– Vous êtes spécialistes en quoi ?

– Sociologie, comportement humain, j’observe et étudie ce qui se passe actuellement en dessous.

J’éludais.

– Et tous les vaisseaux de par le monde sont de même conception ?

– En effet, ils sont identiques.

– Mais pourquoi ?

– Pourquoi ? Vous ne le voyez donc pas ? Son visage impassible s’empourpra et son regard jeta des éclairs. Nous préservons l’humanité ! Regardez autour de vous ! Regardez les résultats.

– Vous êtes totalement tarés !

– Fous ? Non, bien sûr que non. Il reprenait un peu de son calme. Nous sommes lucides, trop lucides. C’est l’humanité qui est folle, pas nous.

Il me désigna un fauteuil et m’invita par là à m’asseoir.

– Je vais essayer de tout vous expliquer, écoutez bien : Ce que vous voyez ici est le résultat de longues années de recherches, tant sur la physique, la chimie, le comportement social, bref sur tous les sujets. Ces années de labeur ont donné le Projet Invasion.

– Le Projet Invasion ? Soufflais-je.

– Oh oui ! Le plus grand projet jamais conçu. Il s’extasiait. La conception et la création de ces vaisseaux, leurs mises en place discrètes au-dessus des capitales, notre silence. Tout cela ne sert qu’un seul but…

– Lequel ? Il éveillait ma curiosité.

– L’Ordre Nouveau, remettre en cause l’humanité, la mettre face à sa folie, à ses paradoxes et ses contradictions. Lui démontrer la futilité impérieuse de son existence même.

– Aberrant. Fis-je.

– Sûrement pas, regardez, nous avons réussi. En à peine dix ans nous avons remis en cause les valeurs humaines. Toutes, économie, religion, société.

– Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Vous avez détruit des siècles de progrès ! M’emportais-je.

– Le croyezvous vraiment ? A ce progrès. L’homme détruit la terre et se détruit. Soyez franc avec vous-même. Nous vous connaissons bien. Vous savez que l’Homme ne se respecte pas et qu’il ne respecte plus sa terre nourricière. Nous devions le sauver, nous l’avons sauvé.

– Je n’en suis pas si sûr. Contrais-je.

– Moi si. Il n’y a plus de guerres, une pollution et une production réduites au strict nécessaire. Ce que des années d’OTAN, d’ONU, de G8, G1,G20, G36, de protocoles de Kyoto en protocoles de Dehli, n’ont jamais réussi à régler, nous l’avons fait en moins d’une décennie. La religion ellemême n’est plus source de conflits.

– C’est inhérent à la nature humaine, rien ne change. Vous verrez dans quelques décennies, l’homme reprendra sa course au profit, les religions s’entredéchireront. Vous avez pu le voir, les religions précolombiennes ont été remises au goût du jour, ils pratiquaient le sacrifice humain.

– Un moyen commode de réguler la démographie. Il me fit un franc sourire.

– Et les Lovecraftiens, ils ont lancé le culte de Cthulhu, ne voyez-vous pas ce que cela peut impliquer dans les générations futures ?

– Quand l’homme régressera vers ses mauvais penchants, il sera alors temps d’instaurer l’Ordre Nouveau, de prendre le contrôle total ! Cela présageait carnage et destruction, j’en frémis.

– Je suis d’accord avec vous, l’Homme est une pourriture finie, j’aurais été d’avis de le laisser s’éteindre, inéluctablement.

– D’autres ne pensent pas comme vous.

– Vous.

– Pas seulement moi, je ne suis qu’un élément du projet Invasion et de l’Ordre Nouveau. Ces deux projets grandioses qui remodèleront l’humanité, ces vaisseaux porteurs d’un symbole d’espoir, tout cela, tout ce que vous voyez a été imaginé et conçu par Alexander Niszoviech, notre Maître et le Père d’une nouvelle humanité.

Je tombais des nues, jamais je n’aurais pu imaginer que cette réalité froide et métallique puisse sortir d’un tel esprit. En même temps, c’était si… logique.

Alexander Niszoviech, reconnu comme le plus grand humanitaire du siècle, Prix Nobel de la Paix, grand Défenseur des Droits de l’Homme. Et surtout, depuis vingt ans, président de l’UNICEF.

FIN


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