07
Mar
12

Le Chandelier

Le Chandelier1

07/09, tôt le matin:

Mon portable sonne, j’ouvre les yeux et aperçois mon réveil : 6h00. Le temps que j’attrape la source des vagissements, il cesse. Je referme les yeux, il insiste, je décroche:

– Hmm….? Voix du matin, rauque.

– C’est F.

– Merde ! T’as vu l’heure?

– Je sais, j’ai besoin de toi. Un faible écho sur la ligne

– C’est ça, t’es dans tes chiottes et t’as une idée de merde à me proposer.

– Très drôle, j’aime ton humour au sortir du lit. Réplique cinglante.

– Pas vrai, ça fait un moment que je suis levé ! J’avoue que je fais mieux comme répartie, mais là, il est 6 heures du matin.

– Sérieux, viens à mon bureau. Le ton estpressant.

– Ok, ok, dans 30 minutes

– Je t’attends.

Hôtel de Police, 07h00:

F. a prévenu de mon arrivée, on me laisse entrer, ça grouille dans les couloirs de la criminelle. Des uniformes partout, dossiers plein les bras, portable à l’oreille. Je parviens au bureau de l’inspecteur F. et entre sans frapper :

– T’as pris ton temps ! M’agressat-il.

– Embouteillage, Porte de Paris. Excuse foireuse, mais les excuses ça sert.

– Ouais. Pas convaincu en face.

Il me fait signe de m’asseoir et me tend un café accompagné d’un dossier.

– C’est bien les flics, pas foutus de faire un vrai café ! Après la première gorgée.

– Bien, t’es de bonne humeur, jette un œil sur ce dossier et dismoi ce que tu en penses.

J’ouvre, première page, le topo habituel, remise en situation, rapport du légiste :

– Heu…

– Non, lis, les questions plus tard.

La suite, rapport sur la scène du crime, photos des lieux et de la victime, je relève les yeux, F. pianote sur son clavier, je me tais et replonge dans le macabre dossier. Je survole le reste du dossier puis saute à sa conclusion.

2

– Alors? Me demande F, ses yeux expriment un profond espoir, celui d’un éclair de génie de ma part.

– Un rituel, plutôt original d’ailleurs.

– Ça, j’ai vu. Agacé.

– T’énerve pas, j’ai besoin de visualiser.

Je reprends avec lui les données de l’affaire:

Hier au soir les pompiers appellent la criminelle, on a un pendu dans les combles de la Grand’Rue. Arrivée des officiers, du légiste et de l’inspecteur. Les soldats du feu avaient défoncé la porte du grenier, ils étaient venus suite à l’appel du propriétaire signalant une odeur suspecte se manifestant depuis plusieurs jours.

Surprise ! Un macchabée pendu, jusque là rien d’original, cependant :

La victime, puisque tout indique le meurtre, se trouve dans une position inconfortable, pour une pendaison, j’entends. Les premiers clichés le montrent bien, sa tête part en arrière alors qu’elle aurait dû s’affaisser vers l’avant, la cause de cette anomalie: il a été pendu par les yeux.

Ses globes oculaires, par ailleurs introuvables, ont été retirés de façon nette et chirurgicale, dans les cavités ainsi créées un gros câble noir, genre câble électrique a été inséré. Il rejoint une barre métallique qui est ellemême suspendue à deux filins d’acier, le tout forme un trapèze dont le sommet est fixé à une autre barre solidement implantée dans les solives.

La scientifique signale que, hormis les objets et les traces sur le sol, il n’y a aucun indice exploitable, pas d’empreintes ni de cellules organiques, la victime a été entièrement rasée, ses dents retirées et ses empreintes brûlées à l’acide, empêchant toute identification, les lieux étaient aussi aseptisés que leur laboratoire.

Le légiste indique que l’homme est mort de déshydratation et que ses yeux furent retirés de son vivant, pas de traces d’autres violences, il estime son décès au Lundi de Pentecôte .

Restent les objets: sept climatiseurs, reliés à une multiprise, entourent le corps du pendu, c’est une marque connue à plusieurs centaines d’euros pièce. Les numéros de série indiquent qu’ils ont été achetés à l’unité dans différents magasins de la région à des dates éloignées, entre Juin 2009 et Avril 2010.

Un chandelier en fer forgé à quatre branches et une cavité en son centre, placé dans le second cercle à gauche de la victime. Les techniciens ont relevé des traces de cire, rouge pour les bras et noire au centre, l’analyse révèle une fabrication artisanale.

– En bref, on n’a pas grand-chose, conclus-je

3

– Là tu te goures, ricane F, il sort un second dossier de sonbureau : meurtre du 15 Août, devant le monument aux morts de Verdun.

Je tombe des nues :

– Comment? La presse n’en a pas parlé !

– L’affaire a été étouffée en haut lieu, mais lis ce dossier s’il te plaît. Il commence à être poli, mauvais signe.

– Allez, résume, quel rapport avec notre pendu ?

– Le 15 Août, on retrouve vers quatre heures du matin le cadavre d’un militaire, empalé par la langue sur les grilles du parc qui entoure le monument aux morts, rue de Verdun, juste derrière le nouveau théâtre.

– Je vois où c’est, c’est plutôt passant comme lieu, non ?

– En effet, mais il n’y a pas de témoins. De plus le militaire était nu, la scène de crime étant extérieure peu d’indices sont exploitables.

– Ok, mais quel rapport avec la Grand’Rue ?

– Le légiste a signalé que l’on avait retiré les papilles gustatives de la victime.

– Charmante attention, le fer rouillé ne dois pas avoir bon goût ! plaisantais-je. F. me fusilla du regard.

– Un chandelier du même type que celui du pendu a été retrouvé sur les lieux. Ajouta-t-il.

Silence, seul un néon mourant crépitait et émettait des claquements sourds. Je me plonge avec plus d’intérêt dans le dossier.

– Il est mort de quoi ton bidasse ? demandais-je.

– Crise cardiaque, d’après les conclusions du légiste.

– Avant ou après l’empalement ?

– Après, il a été empalé vivant.

– C’était un troufion, il était entraîné, il devait avoir le cœur solide, qu’estce qui a provoqué l’arrêt ?

– Mélange alcool, il avait pas loin de trois grammes dans le sang, et adrénaline. Il a eu la trouille de sa vie. Répondit l’inspecteur, sombre.

– De sa mort, plutôt. Qu’at-on retrouvé sur le corps ? Les grilles ?

– Rien de particulier, pourquoi ? Étonné de ma question.

– Quand tu as une grosse frayeur…

– Tu te pisses dessus. Conclut F.

– Le meurtrier a dû tout nettoyer.

4

– Peu probable, même si c’était en pleine nuit, il y a quand même du passage, la gare n’est pas loin, sans parler des putes.

– Alors comment a-t-il fait disparaître toutes les traces ?

– J’en sais foutre rien.

Je tourne en rond, je ne vois pas le lien entre ces deux meurtres, le mode opératoire n’est pas le même mais il semble lié. Je saute du coq à l’âne :

– On a l’identité du pendu ?

– Pas encore, on attend les résultats de la recherche ADN. J’attends aussi l’analyse des chandeliers.

Ah les flics et leurs sacro-saints fichiers ! Pensais-je.

– Et dans les combles, avec quoi les cercles ont-ils été tracés ?

– C’est important ?

– C’est possible, si nous pensons à un rituel, il est certain que la matière qui a servià tracer les symboles peut être significative.

– D’après le labo, ce serait du verre.

– Du verre ? m’écriais-je

– Du moins du sable qui aurait été posé puis porté à très haute température. Ils se sont incrustés dans le sol.

– Attends, tu veux dire que le meurtrier aurait fait cramer le sable, sans foutre le feu au grenier ?

– Il semblerait.

– Mais comment ?

– Bonne question.

– Et rue de Verdun, y avait-il des traces, des marques de ce genre ?

– Les techniciens n’ont pas cherché de ce côtélà, c’était le premier meurtre que nous découvrions. Il semblait sans aucun lien. Je vais envoyer une équipe passer le parc au tamis.

– Ils pourront en profiter pour faire des châteaux de sable ! Gloussais-je.

Une nouvelle fois, F. me lança un regard noir.

– Parfois je n’apprécie pas ton humour, ta façon de tout tourner en dérision.

– C’est ma manière de dédramatiser.

Quelques appels et quelques ordres brefs plus tard, une équipe se retrouve sur la scène de crime.

10h00:

5

Plusieurs résultats nous parviennent en même temps :

– les chandeliers sont de fabrication artisanale, piste peu exploitable.

– dans le parc de Verdun on retrouve des traces de silice, elles forment un demi cercle parfait dans la zone du square, mais stoppent net du côté passant.

– enfin, l’identité du pendu, un avocat censé être en voyage d’affaires au Venezuela. Célibataire et sans famille proche sa disparition n’a été signalée que tard par son cabinet.

– Bon, avec tout ça, on n’est pas plus avancé. soupirais-je. De toutes façons, je ne te serais pas d’un grand secours. Ajoutais-je en fixant F.

– Arrête tes conneries ! s’écria-t-il en retour. Tu es le meilleur spécialiste des rituels du pays, tu ne t’es pas farci près de vingt ans d’études pour te dire que tu ne sers à rien !

En tout cas, je ne suis pas spécialiste des crimes et les rituels que j’étudie sont gentiment retranscrits sur papier. Me défendis-je.

– Bah ! Prendre l’air te fera du bien, tu restes trop enfermé dans ton bureau, tu es tout pâlot.

– C’est drôle, mon ex me disait la même chose.

– Ah oui, elle avait raison, d’ailleurs comment va-t-elle ?

Geste évasif de ma part, pas grand-chose à en dire.

– J’en sais rien. Mais ce n’est pas elle qui nous intéresse pour le moment.

– Excuse-moi, le sujet est délicat.

– Pas du tout, j’en ai rien à secouer.

Je me lève et me dirige vers le mur derrière le bureau, il est encombré de papiers, notes de services concernant les dangers de la surconsommation de café, sur l’utilisation des voitures (elles ne sont pas prévues pour faire des rallyes) et autres choses inutiles. Un à un je les retire et me ménage un espace vacant, puis sans ménagement je déplace le bureau de l’inspecteur qui me regarde faire sans protester.

Dans les dossiers je reprends les photos que je colle au mur, puis je prends un peu de recul pour englober la scène du regard :

– Bon que peuxtu me dire sur ce meurtrier, même si on a peu d’éléments ?

Mon ami, l’inspecteur F., avait undon inné pour comprendre et cerner les gens, il visualisait rapidement leurs motivations et leurs caractères, cela lui avait valu trois divorces.

– Un homme, de race blanche. Commença-t-il. Entre 30 et 40 ans, physiquement assez fort pour immobiliser un militaire et l’installer sur les grilles.

– Il n’est peutêtre pas seul ? Avançais-je.

– Peu probable, dans un groupe il y a trop de possibilités d’erreurs et on aurait retrouvé des

6

indices ou des signes de leurs passages. M’assura-t-il. Il doit avoir des connaissances médicales au vu des ablations faites sans tuer les victimes, en mécanique, en physique et en thermique.

– D’accord, il faudrait chercher du côté des ingénieurs dans ce caslà.

– Avec l’IUT etles différentes universités on en aurait pour un moment, il faut plutôt affiner notre profil.

– Il doit avoir une excellente culture et un niveau d’éducation élevé. Repris-je.

– Je te suis, il doit aussi connaître les techniques de la police scientifique et avoir des connaissances en ésotérisme au vu de la ritualisation de la scène.

– Pas forcément. Contrais-je. Il peut très bien avoir inventé son propre rituel.

– Inventé ? S’étonna F.

– Bien sûr, chaque rituel religieux est une pure invention. Il est chargé d’une symbolique forte mais n’est pas absolument nécessaire. Prend l’Eucharistie, combien de catholiques la pratiquent encore ?

– En tout cas il est rigoureux, la propreté des scènes de crime nous le prouve.

– Et il emporte des trophées ! Conclus-je.

– J’ajouterais qu’il a dû recevoir une éducation stricte, peutêtre est-il issu d’une famille de militaires.

– Ou d’une famille de fanatiques religieux.

– Rien à voir avec un terroriste ! Se récria-t-il.

– Le terrorisme n’est qu’une manifestation du fanatisme. Elle prend d’autres formes, comme le respect strict des paroles de l’Évangile, la tendance prosélyte, le déni de tout autre religion et j’en passe. Précisais-je.

– Bon, je diffuse ce profil.

– Moi je vais essayer de définir le rituel utilisé.

– Je peux me permettre de te conseiller de regarder du côté des satanistes. Suggéra-t-il.

– Non, ce n’est pas un de leurs rites. Contrais-je, sûr de moi.

– Qu’estce qui te fait dire ça ?

– Les cérémonies satanistes impliquant le sacrifice humain sont très rares, même Aleister Crowley et Anton Lavey n’ont pas été aussi loin.

– C’est qui ces deuxlà ?

– Les fondateurs du satanisme moderne, ils ont sévi durant les années 70 aux ÉtatsUnis.

– Ah.

– Comme je te disais, les rituels impliquant un sacrifice humain sont extrêmement rares, alors deux en si peu de temps… De plus les satanistes sont soit très discrets, soit très explicites. S’ils

7

voulaient revendiquer cet acte on aurait retrouvé des éléments, du genre : beaucoup de sang, dagues et bougies, peutêtre même un poulet ou un bouc noir. Le folklore local quoi !

– Bon, on se voit un peu plus tard. F .Voulut mettre un terme à notre entrevue.

– Ah non ! Tu m’as fait lever aux aurores et ça se paye. Tu m’offres le petit déjeuner !

Il poussa un soupir à fendre une pierre mais capitula.

21/09: 14h30, Rue de la Cueille, Poitiers.

La maison est basse et semble abandonnée. F., qui m’a demandé de le rejoindre, me tend un masque sur lequel il a vaporisé du spray mentholé :

– Ça masque l’odeur. M’informa-t-il.

Je ne suis pas vraiment habitué aux scènes de crimes et j’hésite à rentrer dans la bâtisse. L’inspecteur me tire par le bras, et m’encourage d’un geste bienveillant.

J’entre, à l’intérieur la lumière est étouffée et les pièces sont plongées dans la pénombre, le contraste est frappant par cette belle journée de Septembre, en plus la température est vraiment fraîche, moins de huit degrés. Un couloir de deux ou trois mètres s’offre à moi. Sur ma gauche trois marches donnent accès aux chambres et au lieu du meurtre. Je prends le temps de visiter les lieux, pour me préparer psychologiquement à ce qu’il y a dans la pièce.

La première salle est assez vaste, elle doit faire office de salon, sauf qu’elle est vide de tout mobilier, tout au fond une lucarne basse diffuse une faible lumière, filtrée par une couche de crasse poussiéreuse, apportant une ambiance assez glauque. Tout de suite à gauche et sans séparation, je débouche dans la cuisine, elle est équipée de quelques placards gris-bleu. Face à moi, au fond une double porte donne sur une petite salle de bain.

Je revins sur mes pas et m’engageais prudemment dans le sombre couloir menant aux chambres, j’avançais lentement et restait aux aguets, j’avais l’impression d’être observé, l’angoisse que quelque chose ne surgisse pour m’attaquer ou tout simplement peur. Un peu plus loin sur ma droite s’ouvrait la première chambre, les techniciens y avaient installé un laboratoire portatif et effectuaient les premières analyses sur place.

Le lieu du meurtre se trouvait tout au fond du couloir, la porte grande ouverte apportait de la lumière et je fis les derniers mètres plus rassuré.

En entrant je clignais des yeux, les projecteurs installés par la scientifique déversaient une lumière blanche et crue qui m’aveugla quelques instants. Ma vision s’adapta mais des points noirs et rouges persistaient encore et je dus attendre qu’ils disparaissent.

J’étudiais la configuration de la pièce, rectangulaire, douze mètres sur huit environ, la seule

8

fenêtre était hermétiquement close par des planches de bois.

Au sol, autour de la victime, étaient disposés sept climatiseurs ce qui expliquait la fraîcheur de la chambre. Sur le parquet brut je repérais les cercles, ils brillaient sous la lumière intense des halogènes, tels des sillons laissés par la bave d’escargot sur l’herbe humide. J’avais l’occasion de voir les symboles dans leur intégralité, les agents sur place m’avaient assuré qu’ils n’avaient encore rien déplacé car ils attendaient ma venue, « Ils auraient pu enlever le corps, au moins » songeais-je, j’avais tout fait depuis mon entrée dans la pièce, pour que mon regard l’évite. Je me repris et me concentrais sur les traces de silice.

Je demandais aux scientifiques de me fournir un tabouret, je le posais sur le pas de la porte et me juchais dessus, de là j’avais une vue plongeante sur la pièce.

La première chose que je remarquais fut la disposition des différents éléments, je pris quelques photos afin de pouvoir l’étudier plus avant. Le meurtrier avait tracé un premier cercle, il devait, au jugé faire dix ou quinze pas de diamètre et entourait la victime. En face de moi et de la victime un autre cercle, plus petit y était accolé et sur ma gauche un triangle isocèle dont la pointe supérieure touche le premier cercle. À l’intérieur se trouve un chandelier.

Je descendis de mon perchoir et me dirigeais vers la sortie lorsque F. m’interpella :

– Hé, c’est bon ! Tu as ce qu’il te faut ?

– Oui ! Fis-je en brandissant l’appareil photo et mes croquis.

– Que pensestu de la victime ? S’enquit-il.

– Quoi, la victime ? Ce n’est pas mon boulot ! me défendis-je rapidement.

– Peutêtre, mais j’ai besoin de ton avis.

– Franchement, le peu que j’ai vu m’a suffit.

– Non, tu y retournes, je t’accompagne cette fois.

Escorté par mon ami peu charitable et traînant ostensiblement les pieds en signe de rébellion passive, (je suis non violent), je retournais dans l’enfer. F. me signifia de me poster face à la victime et je me retrouvais dans le petit cercle. De plus près l’odeur de décomposition attaqua mes narines et je dus réprimer une nausée.

Le cadavre, face à moi, était agenouillé sur un priedieu, les coudes posés sur la tablette et les avantbras relevés, imitant la posture de la prière. Je remarquais avec horreur deux choses : la première fut la disparition de son épiderme, le tueur avait arraché la peau de sa victime, dévoilant sans pudeur ses muscles. La seconde, ses mains avaient été amputées, tranchées net et gisaient sur le sol. La rigidité cadavérique leur avait fait conserver leur dernière position, jointes, les doigts entrecroisés. Un chapelet y était encore accroché, la croix le terminant ressortait depuis l’intérieur du poing, traversant l’index. J’observais avec plus d’attention et remarquais que les billes qui le

9

constituaient étaient séparées par de fines lames métalliques à l’air extrêmement tranchantes.

D’un coup je compris, avec dégoût et répulsion que je me trouvais à la place du meurtrier ! Le salaud avait sans doute observé l’agonie de sa proie, et resserré lui même le chapelet tranchant autour de ses poignets, jusqu’à les sectionner !

Je me précipitais dehors, bousculant au passage les agents, le soleil de cet après-midi m’aveugla, j’eus l’impression d’être resté enfermé dans cette maison sordide durant des siècles. Je pris appui sur la Focus banalisée de mon ami et rendis mes tripes, mon vomi s’étala sur la portière blanche et immaculée de la voiture.

– Spaghetti bolognaise ? Ironisa F. qui m’avait rejoins. Il me tendit un mouchoir pour que je puisse m’essuyer la bouche et une bouteille d’eau.

Je me retins sur l’aile de l’automobile et repris ma respiration.

– Ça va ? S’inquiéta-t-il.

– Désolé. Réussis-je à articuler.

– Bof, c’est pas un drame, il y a des stagiaires pour nettoyer la voiture.

Pâle sourire :

– C’est raide, comment tu fais pour t’y habituer ?

– On s’habitue pas, on encaisse c’est tout, heureusement la plupart du temps c’est moins violent.

– Un meurtre reste violent, c’est un meurtre.

– C’est une façon de dire, disons que c’est moins choquant habituellement, un coup de couteau ou de fusil, plus banal quoi.

– Je vois, mais je m’engagerais pas dans la carrière d’inspecteur de la criminelle. Pas même pour rouler en Focus RS.

– C’est pas si mal, il faut aimer l’aventure !

– Ce n’est pas l’aventure qui me rebute, c’est l’uniforme !

F. et moi nous nous connaissions depuis le collège, nous avions fait nos classes ensemble jusqu’à l’université. Puis il s’est dirigé vers la criminologie et moi vers l’étude des religions. Nous formons un couple assez disparate, à se demander comment nous pouvions nous supporter. Lui, rigide et méthodique, organisé jusqu’à la névrose. Moi, bordélique et tête en l’air; imprévisible à la limite de la schizophrénie. Il connaissait mon aversion pour tout ce qui représente l’ordre, c’est une sorte de maladie génétique dans notre famille et savait que je considérais ses représentants comme des inutiles tatillons et obséquieux. Je connaissais la sienne pour les personnes montrant peu de respect pour les lois et les institutions et il me traitait souvent d’anarchiste autonome. Cependant notre amitié perdurait tout de même, elle était sans doute plus forte que nos préjugés et j’avais aussi

10

la bonne idée d’être unanarchiste autonome qui savait fermer sa gueule.

– Viens, on va s’envoyer une mousse. M’invita-t-il.

– Ok, mais chez Patoche et c’est toi qui rinces.

– Tu traînes encore dans ce rade minable? S’étonna-t-il.

– Ben ouais, c’est un peu mon deuxième chez moi. De toute façon hors de questions que je foute les pieds dans un bar empli de flics. Et Pat a la meilleure brune de la ville.

– Il sert toujours celle qui donne à boire et à manger ?

– Ouais, et là, j’en ai foutrement besoin.

25/09 10h00, Hôtel de Police, Poitiers.

J’avais laissé passer quelques jours, histoire de récupérer et de réfléchir tranquillement. J’en avais profité pour solliciter quelques confrères au travers de l’Europe et notamment un certain Van Helling, se prétendant descendant de la lignée du Pr. Van Helsing. C’était un original qui vivait grâce à sa fortune familiale et s’intéressait tout particulièrement aux légendes et au folklore de l’Est.

Je rejoignis F. dans son bureau, il avait les traits tirés et ses yeux noirs étaient encore plus obscurcis par les cernes, une barbe de trois jours lui mangeait le visage et la pièce sentait l’homme négligé depuis quelque temps.

– Tu m’as l’air crevé. Lui fis-je remarquer.

– C’est vrai, cette affaire me mine.

– J’ai peutêtre quelque chose d’intéressant.

Son regard s’illumina :

– Sérieux ?

– Évidemment, je n’ai pas passé ces trois derniers jours à glander !

– Café ? Il savait être patient, me connaissant assez pour savoir que j’appréciais de ménager mes effets :

– Si c’est le même truc infect que la dernière fois, non merci !

– Non, j’ai ramené une vraie cafetière ! Je te prépare ça.

Le temps qu’il s’affaira à me préparer le breuvage, je me plantais devant le mur et déplaçait les photographies, ajoutais les miennes. F. avait classé les meurtres par ordre de découverte, je les réorganisais par ordre chronologique. J’entendais le bruit de la machine espresso.

– C’est pas vrai ! Toi aussi tu fais comme tout le monde, t’es passé à cette saloperie de Senseoje pensais mieux de ta part ! M’écriais-je.

– Non, c’est une vraie machine à Espresso !

11

– Ah ! Je préfère ça !

L’odeur du café fruité envahit la pièce, F. revint et me tendit un mug plein à ras bord, j’y trempais mes lèvres, il était bouillant mais plein d’arômes, parfait.

– N’empêche que même avec une bonne cafetière, t’es pas foutu de faire un bon café ! Le taquinais-je. Ce doit être une déformation professionnelle !

Il me brandit son index devant le nez.

Il remarqua mes ajouts au mur :

– C’est quoi ça ? fit-il en l’indiquant d’un geste du menton.

– J’ai essayé de trouver une logique, un fil conducteur ou une correspondance à un autre rituel. Expliquais-je.

– Alors ?

– Rien, j’ai même consulté des confrères, aucun n’a pu me donner de corrélation. Apparemment c’est un rituel original.

– J’ai vu, mais….

– Quand je dis original je veux dire inédit, nouveau, inconnu, premier du genre.

– Désolé, la fatigue… Alors, qu’astu découvert ?

– La trame principale. J’ajoutais un croquis supplémentaire au mur. Regarde. Je lui indique le cercle principal. Cela s’appelle l’Englobe, c’est à l’intérieur que l’objet ou le sacrifice est placé. Le cercle plus petit est le Protego, l’officiant s’y place pour être protégé. Cependant, je ne connais pas encore l’utilité du triangle isocèle et le fait que le chandelier s’y trouve. En tout cas, les deux éléments se déplacent en fonction du rituel, ils suivent les points cardinaux. Le triangle toujours à droite du Protego.

– Je vois,tu voudrais direque notre meurtrier essaierait d’invoquer des démons ?

– Non, l’invocation nécessite des cercles plus compliqués, la victime ne serait pas placée dans l’Englobe, mais à côté car dans ce cas elle sert à recevoir le démon, de plus le Protego doit être doublé et des runes ou des mots de pouvoirs être inscrits pour former une barrière.

– Alors à quoi sert son rituel ?

– Je ne sais pas, il peut être à des fins nécromantiques ou thaumaturgiques.

– C’est quoi ? Cela m’a l’air assez dangereux ?

– Ça l’est. La nécromancie est l’art d’invoquer les morts, condamné par toutes les Églises et la thaumaturgie est une discipline qui permet à son adepte d’acquérir des pouvoirs particuliers.

– Des pouvoirs ?

– Comme prolonger sa propre vie un utilisant l’énergie vitale d’autres individus, posséder le contrôle sur les animaux, lire les pensées, se déplacer par projection astrale et aussi commercer avec

12

les morts….

– Cela se rapproche des vampires non ?

– En effet, mais nous sommes pas d’accord, mes confrères et moi sur son origine. Certains pensent à la porphyrie, une maladie rare et d’autres, comme moi, estimons que le vampirisme est une variante de la thaumaturgie.

– Mais cela ne nous avance pas plus.

– Sauf si l’on analyse la symbolique.

– Celle des victimes ?

– Commençons par là. Acquiesçais-je.

– La première, la nonne découverte rue de la Cueille…

– Ah, c’était une bonne sœur, intéressant. A quand remonte sa mort ?

– Au Lundi de Pâques. M’informa-t-il.

– Avril ? Nous l’avons découverte qu’en Septembre ! m’étonnais-je.

– Le froid a conservé le corps, comme pour l’avocat qui est mort le 2 Juin.

– L’Ascension ?

– Comment ?

– Lundi de Pâques, Ascension et Assomption. Trois fêtes catholiques.

– Et ? Cela éveille ton intérêt.

– Possible. Il faut que je vérifie, mais cela me semble tout de même improbable.

– Dismoi. Insista F.

– Eh bien, je pense à une religion paganiste, il existe encore des groupes les pratiquant.

– Pourquoi choisir des dates du calendrier catholique ?

– C’est évident, le catholicisme lorsqu’il s’est implanté en France a remplacé les dates de cultes païens par ces cérémonies, pour mieux s’intégrer… Cependant….

– Cependant quoi ?

– Aucun culte paganiste n’implique de sacrifices humains.

– Pourtant, j’avais entendu que les Mayas ou les Aztèques offraient leurs prisonniers aux dieux.

– Ce sont des civilisations précolombiennes, rien à voir avec les Celtes. Ils étaient trop proches de la nature et respectaient trop la vie pour donner la mort pour leurs dieux. Non,il faut voir ailleurs.

– Merde. Soupira-t-il. Reprenons la symbolique alors.

– La religieuse, elle représente l’Église, la croyance, le dévouement.

– D’accord, mais s’attaque-t-il à l‘institution ou à la foi en ellemême ?

– Je pencherais pour la seconde, s’il avait voulu s’adresser à l’institution, il aurait sans doute

13

choisi un évêque. Donc la nonne représente la Foi. L’avocat ?

– Le droit, la justice.

– Évidemment la justice. Confirmais-je. Le bidasse ?

– La guerre, la violence ?

– Non. Contrais-je. Dans sa logique j’irais plus vers une valeur morale, le devoir, l’engagement.

– L’ordre ! Le militaire représente l’Ordre et l’Obéissance ! F. se réveilla, la piste commençait à chauffer.

– En plus cela peut avoir un lien avec les couleurs des cierges, le rouge symbolisant une valeur morale et une victime.

– Le noir, la Mort et par déduction, luimême !

– Si c’est ça, alors à mon avis, tu as un autre cadavre sur les bras.

– Comment ça ?

– Si je suis sa logique, il y a un trou dans son planning, la Pentecôte.

– Ou tout simplement, il n’a pas tué ce jour là ! objecta-t-il.

– Cela m’étonnerait, c’est un jour important pour les catholiques, il était presque obligé d’y faire honneur. Ce que nous ne savons pas c’est comment il frappe.

– Pour le moment, j’en ai assez, je vais recouper les informations, on verra ce qu’il en sort. Conclut F.

Je m’installais sans vergogne dans son fauteuil et allumait un cigarillo pour accompagner mon café.

– Tu sais que c’est interdit de fumer ici ? me demanda-t-il.

– Metsmoi une prune, tu sais que je ne la paierai pas. D’ailleurs tu me rendrais un grand service si tu t’occupais de ça. Je lui tendis une pile de contredanses. C’est ma collection personnelle, mais là je commence à en avoir trop, disons que c’est mes honoraires.

– T’es impossible ! grogna-t-il tout en prenant les papillons.

14/10, 09h30, Poitiers, Boulevard du Grand Cerf.

– Tu avais raison ! M’alpagua F. dès mon arrivée.

– Quoi ?

– Pour les meurtres ! On aun quatrième cadavre !

– Je me doutais bien que tu ne m’invitais pas à prendre l’apéro !

Je regardais autour de moi, le boulevard était un lieu très fréquenté, entre la gare, les

14

Couronneries, le CentreVille et la Bugellerie. C’était un peu le centre névralgique de la ville. Pour l’heure les fourgons et les voitures de police bloquaient la chaussée, créant unembouteillage à en faire pâlir d’envie un parisien endurci.

En face de moi, le bâtiment qui devait être la scène du crime. Un immeuble à la façade grisâtre et salie par la pollution,les fenêtres aux étages condamnées par des parpaings, au rez-de-chaussée par de simples panneaux de bois maintenant recouverts d’affiches. Je jugeais l’idée saugrenue, en haut on scelle avec des éléments difficiles à briser, en bas avec des matériaux pourrissant. Comme si, en fin de compte, la condamnation était plus symbolique qu’effective. Ce que les squatteurs avaient bien compris. Un peu sur le côté un couple de gens de la rue se tenait maintenant leurs chiens en laisse et observant les policiers d’un œil suspicieux. Je m’approchais d’eux.

L’homme était assez petit, les cheveux courts desquels dépassait une mèche tressée, il arborait une barbiche assez longue qui lui couvrait en partie la bouche. La jeune femme blonde qui l’accompagnait était assez dodue, un visage rond et avenant, ses cheveux étaient sertis de perles multicolores. Ils étaient vêtus de façon pratique, manteaux amples et chauds, chaussures de marche et pantalons larges à l’air souple.

– C’est vous qui avez découvert le corps ? Je n’y allais pas par quatre chemins.

– T’es flic ? Répondit du tac au tac le jeune homme.

– Tu vois bien qu’il en a pas la dégaine. Intervint la compagne. Sa chienne berger vint merenifler les mains en frétillant de la queue. Je la gratifiais d’une grattouille entre les oreilles.

– Non, je ne suis pas un condé, j’aide unami dans son enquête. Lui répondis-je.

– Ah ouais ? C’est toi qu’a débarqué avec les Gun’s à fond, dans la 21 break ?

J’acquiesçais d’un signe de tête.

– J’adore les Gun’s ! Reprit-il. Surtout Sweet Child of Mine. Il avait le regard ému.

– Je suis plus Outta Get Me. Fis-je.

– Alors tu dois pas trop aimer la bleusaille.

– C’est génétique dans ma famille. Mais un de mes meilleurs amis est inspecteur, faut faire avec.

– Sûr, les amis on les lâche pas pour une question de point de vue.

– C’est vrai. Approuvais-je avec le sourire. Tu peux me dire ce que tu as vu la haut.

Les regards du jeune couple partirent dans le vide, j’eus peur qu’ils me plantent là, sans rien me dire mais l’homme se reprit :

– J’en ai vu des saloperies depuis que j’taille la route, mais des pareilles jamais ! Je peux pas vraiment décrire ce qu’il y a làhaut, mais c’est pas beau.

15

– Comment t’es arrivé là ?

– Ben, c’est une adresse que les zonards connaissent, pas loin de la gare, facile d’accès et bien protégée. C’est une planque qu’on se refile entre nous, tous ceux qui passent par Poitiers la connaissent.

– Et ça fait du monde ? M’intéressais-je.

– J’dirais une bonne centaine.

– Et personne n’a rien vu avant ? Si j’en crois mes observations, vous êtes plus nombreux en Mai et Septembre ?

– Vrai, mais vu qu’il fait beau, on pieute à La Varenne, on y est peinard, on peut faire du feu pour grailler chaud et les flics viennent pas nous emmerder. Ici, c’est une planque d’hiver, on vient quand ça commence à flotter et à faire froid.

– Ok, donc l’été le bâtiment est inoccupé ?

– Y’a de grandes chances, peut-être des putes y viennent faire leurs passes, mais ça m’étonnerait.

– Pourquoi ?

– Tu vois la marque là ? Il me désigna un cercle dans lequel se trouvaient deux barres et trois points.

– Cela signifie ?

– Que c’est aux zonards, qu’il faut pas y foutre les pieds même si y’a personne si t’es pas de la rue.

– Et tout le monde le respecte ?

– Pour sûr, c’est uncode entre nous, si tu vas un peu plus loin y’a le même signe, sauf qu’il n’y a qu’une barre. Ça veut dire que ça appartient aux putes et que nous on a rien à y faire, chacun sa planque.

Il était assez bavard et me donna pas mal de détails sur sa façon de vivre et ses modes de « migration », l’hiver ils descendaient vers le sud, plus chaud et plus facile à supporter, l’été ils remontaient vers le nord, les gens y sont plus solidaires et plus généreux, ils tapaient entre 40 et 50 euros la journée. Poitiers était juste sur le chemin, ils s’y arrêtaient une semaine ou deux pour faire la manche et repartaient.

Je pris congé d’eux et leur glissait un billet de 50, leur conseillant de disparaître tant que les flics étaient occupés à autre chose. Ils ne se firent pas prier et s’éclipsèrent en toute discrétion, traversant le cordon de police comme si de rien n’était.

J’étais sûr que F. avait observé mon échange avec les deux jeunes gens, cependant il ne me posa pas de questions et fit comme s’il n’avait rien vu. Dans le fond, malgré son côté psychorigide

16

d’inspecteur de police, il savait abaisser certaines barrières et passer outre ses prérogatives. Tout de même, le regard qu’il me lança m’assura que je ne me dispenserai pas d’une bonne explication.

Je haussais les épaules et lui tendis un sourire torve.

Je pénétrais dans l’immeuble, face à moi un escalier de bois étroit et raide menait aux étages, je le gravis redoutant de rater une marche et de tomber, j’arrivais sain et sauf sur le palier. Un agent me mena directement dans la pièce concernée, je traversais une sorte de salon, l’odeur des chiens, de la sueur et de l’alcool bon marché empuantissait l’atmosphère. Un clic-clac éventré faisait office de canapé, une simple planche posée sur des cageots de table et des canettes de bière vides de bougeoirs. Je remarquais que, malgré l’odeur suffocante, l’endroit était à peu près propre. Sans doute grâce aux femmes qui accompagnaient les zonards, songeais-je.

Nous arrivâmes, mon guide et moi, devant une porte, des remugles nauséabonds filtraient et j’acceptais le masque que l’on me tendit. Cette fois, la scientifique n’avait pas encore investi les lieux, comme si F. me réservait la primeur de la découverte.

J’hésitais à franchir la porte, pris par une angoisse terrifiante, je me doutais que ce qui se trouvait derrière était monstrueux mais je voulais savoir. Un peu comme un gamin convaincu qu’il y a un monstre dans son placard, il se tient devant, hésite à l’ouvrir. Car si c’est vrai le monstre le dévorera. Si ça ne l’est pas, il se sera rassuré et pourra se recoucher, l’esprit serein. A la seule différence que, moi, j’étais sûr qu’il y avait quelque chose de sordide derrière cette porte et que je ne l’ouvrirai pas pour me rassurer mais poussé par une curiosité morbide, et même l’envie de me faire peur.

J’ouvrais la porte et une bouffée d’air vicié me gifla, l’odeur d’immondices, de déjections se mêlait à la putréfaction d’un corps. La salle d’eau, de taille modeste était encombrée de détritus, on aurait dit qu’une partie de la déchetterie avait été transférée ici. Le cadavre se trouvait allongé dans la baignoire, la tête maintenue en arrière. Je ressortis, l’odeur devenait insupportable et de toute façon, je ne pouvais discerner aucune trace probante. Je me dirigeais vers la sortie, soudain, je fis brusquement demi-tour, rentrant dans mon compagnon, je bafouillais quelques mots d’excuses et me précipitais vers la salle de bain. Je ne l’avais pas remarqué avant, mais au milieu de ce capharnaüm d’immondices je repérais le chandelier, il était posé sur le lavabo en face de la baignoire et du corps. « Il ne l’a pas regardé mourir, il a expédié sa besogne rapidement. C’était moins personnel cette fois. » Songeais-je.

Hôtel de police, bureau de F, 11h30.

17

Un mug empli de café dans une main, un cigarillo entre les doigts, j’observais le mur. Nous y avons ajouté les dernières données de l’affaire et complété mon schéma. La fumée légèrement bleutée me piquait les yeux rendant ma vision trouble.

– Il a fait le tour de son cercle. Remarqua F.

– En effet, mais quelque chose me chiffonne.

– Quoi ?

– La dernière victime, c’est un banquier, c’est ça ?

– En effet, nous l’avons identifié rapidement, disparition signalée le 22 mai, mort dans la nuit du 23 au 24.

– Il voulait que nous le trouvions, nous devions le trouver, plus tôt que ça même.

– Pourquoi tu dis ça ?

– Il ne l’a pas masqué comme les autres, pas de climatiseurs pour baisser la température.

– Je l’avais remarqué.

– Si le froid était arrivé plus tôt, nous l’aurions découvert avant la nonne.

– Comment le saistu ?

– Le couple de squatteurs. Je lui expliquais ce qu’ils m’avaient rapporté sur leur mode de vie.

– Quoiqu’il en soit, cela ne l’a pas perturbé outre mesure.

– Comme si cela n’avait que peu d’importance. Il ne l’a même pas regardé mourir.

– Il le considérait comme moins que rien, indigne de son regard. Les détritus tendent dans cette direction.

– Je n’en suis pas convaincu, il n’avait pas de haine particulière envers le banquier, c’est encore la symbolique qu’il privilégiait.

– Il est possible qu’il ait eu honte ?

– De quoi ? Il a tué avant, froidement.

– Qu’il lui semblait tuer l’un des siens et c’est pour ça qu’il n’a pas observé son agonie.

– L’un des siens ? Son délire est mystique, pas matériel.

– Il est sans doute issu d’une famille aisée, il aurait tué son père.

– Non, son problème n’est pas avec ses parents mais avec la société, ses valeurs.

– Le banquier, c’est l’argent. Il en a, il culpabilise, mais doit en détruire le symbole. Cependant il a appris à le respecter, il maîtrise sans doute son pouvoir. Alors il aurait détruit la valeur la plus ancrée dans sa personnalité, d’où sa honte et son déni.

– Validons cette hypothèse alors, cependant cela ne nous rapproche pas plus. Je pense qu’il lui reste une victime.

– Laquelle ? S‘enquit F.

18

– La bougie noire, la mort ellemême. Répondis-je sombre.

– Je préviens les hôpitaux, les pompes funèbres et toutes les professions qui côtoient de près la mort.

– Fais, mais il cherche le symbole, pas le commerce lié à la mort. Tout est symbolique. Il y a une chose que nous ne voyons pas.

01/11, Rue de la Marne, 14h30, Poitiers.

La rue était bloquée par des camions de pompiers et de police, autour se pressaient une foule de badauds et la presse. Je gare ma vieille R21 sur un trottoir et me rapproche. Des yeux je recherche F., il m’a envoyé un message il y avait peu de temps.

Un officier dans le cordon qui empêchait les curieux de s’aventurer plus avant me repéra, il m’attrapa par le bras et me tira hors de la masse. Je reconnus celui qui m’avait accompagné dans la salle d’eau du Boulevard Grand Cerf. Il me fit signe d’avancer un peu plus loin. Je vis la Focus banalisée de mon ami garée au travers de la rue, il se tenait assis sur le capot, une clope au bec.

– Je croyais que tu avais arrêté ! Le houspillais-je.

– Je fête la fin de l’enquête ! Me fit-il.

Sans me démonter je sortis un Partagas que je lui tendis, il observa le cylindre imposant d’un air gourmand :

– Quitte à la fêter, autant le faire dignement ! Approuva-t-il chaleureusement. Mais avant, je veux que tu vois ça.

Il me traîna dans une maison bourgeoise, elle était bien entretenue, le mobilier sobre et raffiné. Il m’explique qu’un prêtre avait donné l’alerte, son collègue n’était pas là pour assister à la messe de la Toussaint ce matin. Je le regardais sans comprendre. Il n’y avait rien d’exceptionnel, il pouvait être malade le curé. Je lui fis la remarque, il contra enm’expliquant qu’ils faisaient partie de la Paroisse de St Hilaire, la plus fervente et intégriste de la ville, même avec 40 de fièvre il serait venu.

Nous atteignîmes le dernier étage, les combles étaient aménagés en une sorte de chapelle. Au milieu, dans un grand cercle, l’Englobe, assis dos à la porte se tenait un homme. La victime, précautionneusement je fis le tour, je ne suis pas superstitieux mais je ne mets pas les pieds dans un cercle rituel qui m’est inconnu. J’arrivais face au prêtre, F. me confirma son identité. Il était raide comme l’équité, sur ses cuisses reposaient ses mains, paumes ouvertes. Sur celles-ci, délicatement, avaient été déposées les oreilles de l’homme, pavillon, marteau, tympan, colimaçon, tout y était,

19

proprement découpés. De profil le cadavre arborait deux trous béants à la place des oreilles. Face à lui, à ses pieds se trouvait le chandelier dans son triangle, le Protego avait disparu du schéma rituel.

Je regardais F.:

– Pour moi, c’est une autre victime. Déclarais-je.

– Alors regarde-bien. Il éteignit les puissants projecteurs utilisés par les techniciens, plongeant la pièce entièrement dans le noir. Je n’avais pas remarqué que les fenêtres étaient totalement obstruées, pas un rai de lumière ne filtrait.

Mon regard fut attiré par le mur de gauche, à l’aide d’une matière inconnue qui irradiait d’une lumière phosphorescente rouge orangée dans le noir, des lettres ouvragées avaient été tracées, le message déclarait :

« La Justice est aveugle », cliché pensais-je. Celui du Nord était plus intéressant,  » La Foi n’a pas de sensation », celui de droite : « L’Argent nulle odeur » et celui du sud : « L’Ordre n’a pas de saveur ».

Enfin, au plafond, juste au-dessus du prêtre : « La Mort, seule, est Conscience ».

FIN

07
Mar
12

Jean Maurice

JEAN-MAURICE

L’aurore faisait pâlir ce petit matin frais, le soleil avait à peine attaqué sa céleste ascension et les nichées d’oiseaux pépiaient gaiement leurs espoirs quotidien.

Le moteur de la débroussailleuse imprimait des vibrations qui lui massaient le dos, le harnais qui la maintenait la rendait moins pesante et plus maniable. Le moteur ronronnait doucement et la lame tranchait dans la verdure avec à peine un léger chuintement. Jean-Maurice se sentait bien ce matin, serein et heureux avec cet engin dans les mains. Heureux d’être dans ce grand jardin, acquisition récente dont il était fier. Mais que de travail ! Les anciens proprios l’avait laissé en friche et les herbes hautes envahissaient l’espace, des orties arrivant à sa taille, dont les tiges étaient aussi épaisse que de petites branches.

Il avançait dans cette jungle, faisant des demi-cercle avec le manche télescopique, se frayant un passage dans les ronces, l’odeur piquante et suave de la sève se mêlait à celle âcre de l’essence. A chaque brassée qui tombait il se sentait envahit d’une joie enfantine, d’un sentiment de puissance incommensurable, il dominait le végétal, le faisait plier sous son arme, comme un héros de la mythologie balayant des lignes de fantassins d’un revers d’épée.

Il avançait toujours, ses lourdes bottes de sécurité broyant les débris de l’armée végétale, faisant craquer les ronces sèches. Il s’arrêta quelques secondes et prit une longue inspiration, il essuya les mouchetures verdâtres qui pilonnaient son masque de protection, puis, avec un large sourire béat, il mit la machine à puissance maximale et se sentit emporté par son rugissement.

    • Jean Maurice ! Jean Maurice ! Il n’entendit les cris de son épouse que lorsqu’elle fut assez proche.

Il se retourna sans éteindre la débroussailleuse :

    • Tiens je t’ai apporté de l’eau fraîche, je me suis dit que tu devais avoir soif.

Il prit la bouteille et ne se rendit compte de la chaleur qu’à ce moment là. Le soleil était haut dans le ciel azuré qui brillait d’un bleu agressif. Puis il baissa les yeux sur sa machine, la lame d’acier tournait lentement sur elle même et il était hypnotisé par le mouvement. La sève des plantes, collante et odorante, se mêlait en conglomérat verdâtre par endroit. Il se dit que c’est que devait utiliser les réalisateurs de films de SF pour le sang d’alien. Cette pensée le fit sourire.

    • Ça va ? S’enquit sa femme.

    • Pourquoi pas ? Répondit-il. Le regard dans le vague.

Machinalement il joua avec la commande de puissance, l’engin crachotait à faible régime et repartait dans un ronronnement sauvage pour revenir à un feulement rauque. Il leva les yeux sur sa compagne, elle entrait dans la cinquantaine, le temps et l’âge commençait à prélever leurs tributs, de ses formes généreuses lors de leur mariage il ne restait qu’une chaire flétrissante, des rides d’amertume encadrait son sourire naguère si envoûtant. Jean Maurice se secoua, Jean Maurice aimait son épouse, Jean Maurice aimait ses deux enfants. Et Jean Maurice se sentait puissant.

Il approcha la lame de sa femme et entendit a peine son cri quand elle entra en contact avec son tibia, elle rongea la chair rapidement et attaqua l’os dans un crissement, de la poussière blanchâtre se pulvérisa sur la lame, recouvrant le sang noir.

Elle s’écroula, le visage déformé par la douleur, elle sentit le poids de la botte écraser son thorax, la maintenant fermement au sol, l’empêchant de bouger. Elle vit la lame approcher son visage, sentit son souffle, le brassage de l’air en un tourbillon mortel de peur et de souffrance survoler sa bouche, son front, circuler d’avant en arrière. Elle pleura en gémissant.

Il jouait avec la lame au dessus de son épouse, la faisant valser au dessus de son visage, un pied sur sa poitrine, la maintenant au sol par son propre poids, il l’observa gémir et tenter de se débattre, d’échapper à l’inéluctable. Jean Maurice souriait sous sa visière de plastique. Il alternait entre les différentes vitesse appréciant ce moment.

La lame trancha le cartilage du nez, laissant apparaître les cavités nasales qui se remplirent de sang rouge vif, il vit la bouche de son épouse béante sur un hurlement qu’il n’entendit pas. La machine peinait sur l’os du menton, il mit la puissance maximum et sentit l’ivoire céder. Des dents volèrent de toutes part, accompagnée d’un flot de sang épais, il continua son œuvre et vit les yeux bleus empreints d’incompréhension, de douleur et de mort sortirent lentement des orbites, couler sur les joues pour s’écraser sur le sol. Deux fleurs blanches, bleues et rouges contrastant sur le vert de la pelouse. La lame rencontra le vide, il s’arrêta et la mit au ralenti. Elle toussa et crachota comme si elle digérait ce carnage.

Le visage de son épouse n’était plus d’une découpe anatomique, les fosses nasales et les orbites vides suintaient un sang noirâtre mêlé à des grumeaux blanchâtre de la cervelle maintenant exposée à l’air libre. La découpe était parfaite, nette, la mince épaisseur du crâne lisse était striée de cheveux blonds coagulés. Le reste de la toison était répandu en auréole autour de la tête dans une sorte de sanctification de la matière grise.

Jean Maurice se détourna de l’icône macabre et se dirigea vers la maison, elle ressemblait a toutes les maisons d’un famille ni pauvre, ni riche mais qui a les moyens de vivre correctement, elle comptait un étage où se trouvait les chambres des enfants, d’ailleurs il entendait par dessus le ronronnement sourd du moteur les vagissements d’une chanteuse à la mode dont sa fille était fan.

Il entra par la porte de la cuisine et traversa la pièce carrelée de blanc, le plan de travail de couleur gris brillait de propreté, dessus trônait une coupelle de fruits appétissant, il suffisait de tendre la main pour en saisir un. Il le reconnaissait, son épouse était aux petits soins pour sa famille.

Il atteignit le salon, le grand canapé de cuir blanc trônait en plein milieu. Dieu, que je déteste ce sofa ! Songea-t-il. Il remit la machine à pleine puissance et massacra méthodiquement les assises, la mousse jaune ressortait par paquet, comme des organes. Les restes d’herbes et de sang mouchetèrent le blanc immaculé de vert et de rouge, la lame se bloqua dans un accoudoir, d’un geste rageur il la retira.

    • Mais qu’est ce que tu fous ? La voix de son cadet variait des graves aux aigus.

Il se retourna vers l’adolescent, il entrait tout juste dans la puberté, son corps portait encore les marques de l’enfance, une épaisseur de graisse superflue ici et là mais déjà se dessinait sa silhouette d’homme. Jean Maurice s’approcha, il leva la débroussailleuse assez haut pour l’aligner sur la bouche de son fils.

    • Arrêtes ça ! Tu me fais flipper grave !

Il enfonça la lame dans la bouche béante, elle attaqua la commissure des lèvres et ses bords crénelé déchirèrent la chair. Il mit le moteur à la puissance minimale, grisé par les vibrations du manche se répercutant en milliers de fourmis électriques sur ses bras et poussa tout doucement la lame. Les joues s’écartèrent lentement sous la pression, laissant s’échapper de minces filet de sang qui se projetaient en gouttelettes. Elles giclèrent sur les escaliers, le mur saumon et le canapé.

Il insista légèrement et la lame explora plus avant, la mâchoire inférieure s’affaissa, maintenu par un tendon rougeâtre au reste du crâne. Il atteignit les cervicales et dû augmenter la puissance, avec force il poussa, la lame mordant les os, soudainement elle rencontra le vide, le haut du crâne du gamin se sépara de la mâchoire et le reste du corps s’écrasa mollement au sol.

Jean Maurice observa son œuvre et il haussa les épaules, il attrapa la tête de son fils par les cheveux et l’empala lentement, la tournant comme un écrou dans une vis, sur la lampe halogène qui se tenait, horreur de la décoration moderne, fière et hautaine sur la droite du canapé, la transformant en une sculpture morbide.

Il monta les escaliers, son poids conjugué à celui de la débroussailleuse les fit grincer de manière inquiétante. Il continua son ascension et arriva sur le palier, à gauche sa propre chambre, celle de son fils, la salle de bains. A droite, la chambre de sa fille, le grenier. Il prit a droite.

La moquette bleu nuit parcourue de lignes épaisses comme du velours étouffa ses pas, la musique beuglante couvrait son approche. Il atteignit la porte entrebâillée et jeta un coup d’œil. Elle était allongée à même le sol chantonnant le refrain tout en consultant un magazine people. Ses pieds battaient l’air en cadence, suivant le rythme peu évolué qu’ils suivaient. Il observa un moment son ainée, elle lui rappelait son épouse plus jeune, pulpeuse, une pointe de sensualité et de provocation. Son petit short estival moulait ses fesses aux courbes tentatrices, laissant, imaginer une vulve gonflée et prête a recevoir, un anus serré et vierge de toutes explorations. Ses cheveux assez longs retombaient en volutes blondes sur son dos souple et musclé. Ses jambes oscillaient dévoilant la puissance des mollets et la féminité de ses cuisses. Jean Maurice observait, Jean Maurice se masturbait. Il l’imaginait à sa merci, allongée sur le dos, ses seins aux rondeurs appétissantes se soulevant sous sa respiration saccadée, ses soupirs rauques, son râle d’extase quand il s’insérait dans son vagin tout lui pénétrant l’anus des doigts. Jean Maurice se masturbait, la machine vibrante massant son dos lui offrant un plaisir plus intense. Maintenant il la voyait à quatre pattes, une mèche de cheveux blonds dans son poing qui tirait sa tête vers lui tandis qu’il la percutait avec fougue par derrière, s’immisçant dans sa plus totale intimité, jouissant de la sensation des muscles resserrés contre son sexe durci et sensible à la moindre variation de pression.

La musique s’arrêta sur une note discordante, Jean Maurice éjacula, il sentit son sperme se répandre sur son poing fermé et émit un râle de plaisir. Sa fille dû l’entendre car elle se retourna :

    • Papa ! Qu’est ce que tu fous ! Dégage c’est ma piaule !

Il ne répondit pas et se reboutonna, d’un pas léger il pénétra dans la chambre, les murs saumons étaient recouvert de posters représentant de la société consumériste adolescente. Le lit était défait et l’armoire dégueulait la garde robe de la jeune fille.

    • Ça suffit ! Tu sali tout avec ta machine ! Elle s’était redressée sur les coudes et fusillait son père de ses yeux bleu clair.

Et il avança, doucement, lentement, ses bottes laissaient des empreintes profonde imbibées de sang sur la moquette crème. Elle prit peur, il lu dans ses yeux sa terreur enfantine, comme quand elle était gamine et qu’il faisait la grosse voix. Il sourit. Et se rapprocha.

    • Arrête tu me fais peur ! Murmura-t-elle.

Il lui sourit et mit la débroussailleuse à plein régime, le vacarme dans la petite pièce était enivrant, l’homme allié à la machine, la puissance indestructible. Elle recula doucement voyant son père approcher, pour finir elle se retrouva acculée, dos au mur, sans espoir de fuite. Elle leva le bras en vaine tentative de défense et entendit la machine infernale s’arrêter après quelques toussotements de protestation. Elle osa relever le regard vers son géniteur et baissa son frêle bouclier de chair.

Une lourde botte de sécurité vint s’écraser sur son nez, elle vit la semelle de caoutchouc crénelé venir à la rencontre de son visage et son crâne fut heurté simultanément par le mur derrière et le pied renforcé.

Il sentit avec exultation le cartilage éclater sous sa botte, les os des pommettes se fissurèrent dans un craquement léger. Il ôta son pied, le visage sanglant de sa fille apparut, la bouche déformée par un rictus de douleur. Le piercing de l’ailette droite s’était ferré comme un hameçon dans la chaussure et il du tirer de toutes ses forces pour l’en arracher, un flot de sang gicla avec le morceau de métal et de chair qui y pendaient. Elle poussa un léger gémissement quand elle s’effondra en avant sur la moquette maintenant d’une teinte bordeaux.

Elle était allongée sur le côté, les genoux remontés sur son abdomen en un geste inconscient de défense, sa figure ensanglantée enfouie dans ses bras, en position fœtale.

D’un coup de pied brutal il la bascula sur le dos, il se campa au dessus d’elle et remit la machine en route, la lame tourna joyeusement comme pleine d’une nouvelle vigueur. Sans ménagement il écarta les cuisses de l’adolescente, il glissa le disque d’acier délicatement entre les jambes ouvertes et, en suivant la couture, il découpa le short en jean. Le tissu céda dans un crissement ténu. Il releva le manche et se gratta le menton, un sourire fugitif aux lèvres.

Il baissa le régime et attaqua la peau nue et tendre, le sang coula en un mince filet sur la moquette déjà souillée et la lame traça deux sillons impeccables et droit dans les cuisses, il accéléra et la lame heurta, au travers du string en dentelle, le clitoris de la jeune fille. Dans un sursaut elle se contracta, son dos s’arqua sous la douleur et ses ongles s’enfoncèrent profondément dans la moquette, la tête en arrière le sang dévala son visage et imbiba ses cheveux d’or pâle, leur offrant une couleur grenadine.

Il continua, il sentit la lame pénétrer le vagin, puis atteindre l’utérus. Une mare rougeâtre s’échappa du bassin, la moquette en absorba la plus grande partie. Il sentait maintenant les os pelvien céder sous le tournoiement de la machine, au travers du débardeur de son aînée il pouvait voir l’abdomen s’affaisser tandis que la machine fouissait plus avant, le manche était déjà au quart enfoncé dans le corps de sa victime. Patiemment, Jean Maurice poursuivit son œuvre, le sang lui inondait les bottes, il sentait sa chaleur et sa vitalité se répandre en flot continu, une odeur de merde et d’urine s’ajouta à celle du liquide, la vessie et le côlon avait dû exploser songea-t-il.

Elle ne bougeait plus, mais la douleur était bien réelle, elle sentait la lame dans son ventre, elle tournoyait, brisant os et organe, elle voulu hurler mais sa voix ne sortit pas de sa gorge, juste un faible gémissement, un dernier appel à la pitié.

Il n’y avait plus de pitié, Jean Maurice releva d’un coup sec la lame, elle traversa le sternum comme si ce n’était qu’un fine couche de plâtre, arrachant dans son mouvement la peau de l’abdomen, quelques côtes et entrainant une moitié de poumon, aspergeant Jean Maurice de sang et de débris d’organes. Il resta ainsi quelques minutes, peut-être une heur, il n’aurait su dire, le disque tournoyant dans le vide, à la moitié du manche pendouillaient les reins qui s’agitaient sous les vibrations de la lame.

Jean Maurice stoppa la débroussailleuse, il ôta son masque de protection d’un geste las et retira ses gants de protection, il les jeta sur les restes sanglants et écartelés de sa fille. Il défit le harnais qui maintenait la machine puis il la déposa prés du cadavre.

Il descendit d’un pas lourd les escaliers, se dirigea vers la cuisine, laissant derrière les traces sanglantes de son exploit. Au passage il adressa un clin d’œil à la moitié du crâne de feu son fils. Il atteignit le frigidaire et y attrapa une bière qu’il ouvrit. Avec délectation, il but la première gorgée puis s’installa sur un siège et ouvrit le journal du jour.

FIN

07
Mar
12

Invasion

Invasion

« Ils sont là ! », « Ils existent ! »

Dix ans ont passé depuis que la presse nationale exhibait ces gros titres, dix longues et courtes années. Aujourd’hui, plus rien, on ne parlait plus « d’eux », comme s’ils n’étaient que le fruit d’un sombre rêve, d’une hallucination collective.

« Ils » ce sont les extraterrestres, ils sont apparus un beau matin, leurs immenses vaisseaux postés audessus de chaque capitale, je me souviens encore des photos. Des coupoles gigantesques dominaient les cités, les journalistes rapportaient qu’elles englobaient le centre et les banlieues proches, éléments monstrueux dans les cieux sereins de nos vies. D’autant plus que les photos étaient floues, comme si les appareils numériques n’en croyaient pas leurs autofocus.

Au début, nous prenions ça pour un canular, une mauvaise plaisanterie concertée et concoctée par des journalistes en manque de sensationnel. Mais rapidement la réalité nous rattrapa.

L’apparition des vaisseaux spatiaux s’était accompagnée d’une seule manifestation. Non, ils n’avaient pas utilisé la force brute en rasant des villes, ils s’étaient montrés beaucoup plus malins.

Ils avaient détruit tous nos systèmes de communications, tous : plus de téléphone, plus de portable, plus d’internet, plus de radio et horreur suprême pour des milliards d’entre nous, plus de télévision.

Seule la presse nous apportait des informations sporadiques et le plus souvent invérifiables, j’appris ainsi que les USA avaient tenté d’attaquer la nef au dessus de Washington, l’Iran aurait fait de même. Sans résultat, sans réaction. Les entités venues de l’espace s’étaient contentées d’encaisser, sans bouger, sans riposter, déconcertant les États-Majors. Puis on envoya des délégations, la Suisse reconnue pour sa légendaire neutralité dépêcha ses diplomates, ils attendirent en vain des mois au pied de la flotte. Puis ce fut le tour des scientifiques, aucun ne put donner d’explications probantes ni déterminer la provenance des soucoupes.

Alors, bien que les gouvernements faisaient semblant de maintenir une normalité rassurante, tout s’effondra. Cela commença par l’économie mondiale, les centres financiers incapables de communiquer rapidement entre eux se résignèrent et jetèrent l’éponge. Les multinationales suivirent, elles ne purent s’adapter à la nouvelle situation, ce qui profita à l’artisanat et au commerce local.

Du côté de la population, le premier mouvement de panique passé, durant lequel on vit les franciliens affluer dans les campagnes environnantes, vint une froide acceptation. Le fait de constater la non agressivité de ces entités extraterrestres soulagea et les communautés s’adaptèrent rapidement. On vit la résurgence de métiers presque oubliés : le cordonnier, le crieur public, l’épicier, le raccommodeur, le rémouleur réapparurent dans nos villes. Les rezdechaussée des HLM étaient devenus de véritables centres commerciaux où tous les voisins se côtoyaient.

Après la crise économique et la réadaptation sociale survint un chamboulement spirituel, il couvait déjà depuis la découverte du système solaire Lémuria dans lequel on découvrit une planète pouvant accueillir la vie. Les religions monothéistes furent violemment remises en question et nombre d’églises, de mosquées, de synagogues furent prises d’assaut par la vindicte populaire.

D’autant plus qu’aucun système religieux ne put fournir d’explications valables à existence des extraterrestres, le Pape Jean-Paul XII se contenta d’émettre une bulle reconnaissant les entités spatiales comme créatures divines, en vertu du fait que Dieu est le fondateur de l’univers. Ce ne fut pas suffisant, les fondements de toutes les théologies furent remis en cause et un peu plus de deux millénaires de croyance furent balayés.

Vint l’essor des religions cosmiques, l’humanité porta un intérêt croissant aux civilisations précolombiennes et à la Haute Egypte, se convainquant que ces deux peuples avaient connaissance de l’existence des extraterrestres. De nouvelles religions firent leur apparition, issues du terreau de la science-fiction populaire, deux groupes importants s’élevèrent de la masse : les Star Trekkien qui maintenaient une vision futuriste et idéalisée de la présence des créatures spatiales et les Lovecraftiens, plus sombres et pessimistes, ils prédisaient un changement total de nos façons de vivre et une évolution de l’esprit humain.

Trois années s’étaient écoulées depuis l’apparition des vaisseaux, l’Homme changea subtilement, après les différentes crises et la pénurie de carburant, il redécouvrit la production autonome, les transports non polluants. Peu à peu les rivalités entre États s’estompèrent, les enjeux économiques étant moindres. Le Golfe Persique redevint une zone calme, de même que l’Extrême-Orient, totalement désorienté et incapable de réaction. Le Monde retrouva un équilibre et les disparités entre le Nord et le Tiers Monde appelées à disparaître définitivement.

Le seul média à notre disposition était la presse, elle se concentrait principalement sur l’activité locale et ne diffusait que peu d’informations internationales, qui de toutes façons arrivaient avec des mois de retard du fait de la perte de nos moyens de communication rapides.

Les citoyens portèrent alors un intérêt croissant à leurs villages et villes, s’impliquant de plus en plus dans sa vie quotidienne. De nouveaux conseils furent créés où les anciens avaient leur place. On reconnaissait leur savoir et leur sagesse, ils devinrent des éléments indispensables qu’il fallait à tout prix préserver.

Quant à moi, ayant toujours été d’un naturel misanthrope et solitaire j’observais mes voisins se débattre pour s’adapter. Depuis longtemps je possédais mon propre potager, quelques poules et lapins qui me fournissaient œufs et viandes. Je n’achetais que le strict nécessaire et ne m’embarrassais pas d’un confort dispensable. Je vis l’arrivée des soucoupes volantes avec soulagement, me disant que quelqu’un s’était décidé à faire le ménage. Je fus déçu qu’il n’y ait aucune réaction de leur part, pas d’explosion, pas de villes rasées, pas de menace. L’attitude qu’ils avaient adoptée avait rassuré la population, cependant je ne pensais pas de même et surtout, j’étais avide de réponses. Au fil des ans, ma curiosité s’intensifia, avec elle, l’impression que la situation n’était pas comme elle devrait l’être s’amplifia. Je pensais que nous aurions dû être asservis par ces êtres supérieurs, ou annihilés. Rien de tout cela n’était arrivé, était-ce rassurant ou inquiétant ?

Un jour que je lisais le journal, la rubrique nécrologique en était l’article le plus violent, à croire que l’homme n’avait plus de haine ou de colère envers luimême, je pris ma décision.

Je voulais en avoir le cœur net, je doutais de la réalité de ces événements. Je fis mon paquetage, ce qui fut assez rapide, ne prévoyant pas une absence trop prolongée. J’avais deux hypothèses en tête :soit cela était une vaste supercherie et je perdais mon temps, soit cela était absolument réel et la zone serait sous contrôle militaire. Dans tous les cas, ayant tout mon temps je me mis en route vers Paris, à deux jours de marche. Avant l’on m’aurait qualifié de banlieusard, deux heures de RER et me voilà dans la capitale, aujourd’hui nous étions vraiment coupés d’elle.

Mon voyage se déroula sans encombre et je parvins sur le périphérique Francilien, je me serais cru à Amsterdam, Copenhague, Pékin ou Dehli, ou les trois réunies tant la foule de cyclistes était dense. Quelques rares privilégiés montaient des chevaux, un luxe dans cette nouvelle société où on considérait ces quadrupèdes comme des steaks ambulants.

De là où je me trouvais je n’apercevais pas encore la ville ellemême et le ciel ne m’offrait qu’un horizon bouché par quelques cumulo menaçant de crever à tout moment. J’avançais donc d’un pas tranquille mais assuré, ménageant mes forces. En fin de journée j’arrivais sur une sorte de promontoire qui offrait un spectacle impressionnant.

J’avais vue sur toute la capitale, la Seine traînait langoureusement sous les ponts tandis que la Tour Eiffel pointait sa flèche encore plus rouillée vers un vaisseau…

Un putain de vaisseau spatial ! Là, j’en suis resté baba, comme deux ronds de flan, quoique le flan aurait été plus réactif. Ainsi, c’était vrai, ils avaient bel et bien débarqué sur Terre ces foutus aliens ! Depuis le temps qu’on nous prévenait ! Ils étaient là ! Tranquilles, lévitant au dessus des monuments parisiens, leur énorme machine englobant tout Paris intra-muros. L’extrémité de leur coupole formait une sorte de frontière tacite entre notre monde et le leur. Vache ! J’en tombais sur le cul ! Et j’en perdais mes bonnes manières. Je restais là ébahi à observer cet engin sorti d’un mauvais film de série Z tant il était hideux de sa banalité déconcertante. Oh oui ! Il ressemblait en tout point à ce que nos cerveaux étriqués d’humainsauraient pu imaginer comme moyen de transport pour les extraterrestres. Merde, ils pouvaient pas prendre le train ? Comme tout le monde. Je dus m’asseoir un bon moment et perdre la raison pour de bon, c’était trop incroyable, inconcevable, inimaginable, aberrant, étonnant, réel. Je gâtifiais un bon moment en ressortant tous les adjectifs superlatifs que je connaissais.

La nuit était tombée et la navette masquait la lune et les étoiles, plongeant la ville dans un noir complet, j’observais toujours, guettant une réaction, une preuve de vie. Rien, pas une lumière n’éclairât le flanc de la machine, pas le moindre clignotant prouvant sa présence, juste une ombre plus dense et plus compacte que la nuit.

Je dus m’endormir car je rouvris les yeux dans un sursaut, mes synapses mirent quelques instants à se reconnecter, à la vue du vaisseau tout me revint. Cependant, le chromosome reptilien, celui qui conditionne la survie se réveilla, il injecta à mon hypophyse une légère dose d’instinct animal, il me disait une chose et une seule : quelque chose cloche.

Oui, mais quoi ? Inconsciemment j’en avais conscience, les pièces ne collaient pas, il y avait une faille quelque part. J’avançais, m’approchant un peu plus de la nef spatiale, au dessus demoi elle formait un ciel de métal, aucun rivet ne scellait les plaques entre elles, à croire qu’il avait été construit dans une seule et même gigantesque pièce, par endroitsdes espaces sombres formaient des trous dans la coque, peutêtre un système de ventilation, de videordures ou d’évacuation des eaux sales. En étudiant le sol sous un de ces orifices, j’en conclus à la première explication, pas de traces de déchets quelconques. En tout cas, ils étaient bien trop hauts pour envisager d’y accéder.

Encore une fois, mon instinct se manifesta. Le silence. Lourd, pesant, un silence métallique. J’observais autour de moi et ne vis aucune trace de vie, pas d’insectes, de rongeurs, pas d’humains. Je distinguais pourtant des check-points militaires, les sacs de sable entassés et les barricades de béton disposées afin d’empêcher tout véhicule de sortir, à moins que ce soit l’inverse, pour les empêcher d’entrer. Nous avions entendu parler d’une communauté de Star Gatiens qui avait tenté de prendre d’assaut le vaisseau au dessus de Washington, ils avaient été repoussés par l’armée et déploraient quelques morts. Toutefois, il était étrange que l’armée ait délaissé ces points de contrôle, en général, elle l’avait prouvé, elle était plus difficile à déloger qu’un ténia ayant pris ses aises dans les intestins d’un chien errant.

Son absence, cependant ne me dérangeait pas plus, mieux cela m’arrangeait, aucun risque d’être arrêté durant mon exploration. Le plus gênant, c’était cette absence de vie, pourtant aucune trace de destruction n’était visible, étrange. De plus le vaisseau lui-même aurait dû faire du bruit, un bourdonnement, des grands SWOUUUFFS quand il relâchait de la vapeur, ce genre de sons. Là rien, un silence de mort, pétrifié par son propre silence.

Pour tromper ma peur naissante, je me mis à étudier le vaisseau, j’étais maintenant assez proche pour en englober une bonne moitié. Je remarquais alors qu’il était constitué de deux parties distinctes et non raccordées. La première, ce que j’appelais le corps de l’engin et où je supposais que les extraterrestres avaient leurs espaces de vie d’où ils sortaient et entraient par téléporteurs n’ayant pas vu de point d’accès au sol, était un vaste cercle de plusieurs kilomètres de diamètre qui tournait lentement sur luimême dans le sens de rotation de la terre.

La seconde partie m’intrigua, bien qu’éloignée de moi j’en distinguais certains détails. C’était un haut cylindre métallique, il dépassait du corps et frôlait le sol, de couleur métallisée il était sporadiquement strié d’éclairs blanchâtres courant de bas en haut sur son tronc. Il me semblait qu’il tournait lui aussi, mais dans le sens inverse. Je supposais que c’était le centre d’énergie du vaisseau, son noyau. Je décidais d’en faire la prochaine étape de mon exploration. La soirée s’était déjà fort avancée et seules les vagues d’énergies apportaient une lumière intermittente. C’est dans cette ambiance stroboscopique que j’installais mon camp.

Le lendemain le silence me réveilla, perturbant. Je crapahutais dans les rues de Paris abandonnée, la nature y reprenait, par endroits, ses droits. Des plaques de verdure déchiraient épisodiquement la chaussée, des racines d’arbres explosaient les trottoirs révélant la face intime du végétal.

Je me rapprochais de l’objet de ma quête, le cylindre étrange et étranger, le repérant entre deux immeubles, inéluctablement je l’atteindrai.

Au détour d’une ruelle je débouchais sur un terrain vague, envahi d’herbes hautes roussies qui tanguaient dans une houle imaginaire, je ne sentais aucun vent. En son exact centre se tenait le cylindre, je notais qu’en plus de sa rotation il était animé d’un mouvement de balancier de haut en bas, ma curiosité me poussa à m’approcher encore plus pour enfin arriver à seulement quelques pas, les émanations de lumières blanches se firent plus rapides, plus rapprochées, comme s’il avait détecté ma présence. La température chuta brutalement pour remonter tout aussi vite, générant des variations brutales mettant à mal mon organisme. Je suffoquais sous la chaleur, grelottais sous le froid, n’arrivant plus à réguler ma température interne. Mon cerveau semblait bouillir, résonnant d’un bourdonnement incessant qui devenait un sifflement aigu lors du passage au froid, une lame propre et tranchante le traversant, mes yeux pleuraient puis séchaient, mes mains gercèrent douloureusement et toute ma peau se flétrit. Je titubais, encore quelques pas en avant, je voulais toucher cet objet, m’assurer de sa froide réalité. Je m’effondrais.

Si près du but, de cette curieuse obsession, de cette soif presque étanchée. Savoir, connaître, faire la part de réalité et de fiction.

Néant, ténèbres cotonneuses dans lesquelles mon esprit s’enfonçait doucement. Absence de pensées, de souvenirs d’avoir été ou d’être. Néant.

Lumière, réveil brutal et retour dans mon corps, meurtri, angoissé, déconnecté du système nerveux.

Néant.

Nouveau réveil, instinct primitif revenant à la charge, vis, survis. Peu importe ce que tu as à y gagner ou à perdre. Vis, survis. Vis, survis. VIS !

Néant, encore.

Troisième réveil, la lumière blanche transperce mes paupières, irritant la rétine. Brouillard, je ne perçois rien, rien d’autre que ce cercle aveuglant, d’une vitalité pure, aveuglante. Des sons de pas sur un carrelage, des chuchotements, une porte qui coulisse, silence.

Je dus m’habituer à l’éclairage au bout d’un moment, les yeux grands ouverts je fixais un plafond blanc et nu, immaculé, seul le cercle gris d’un éclairage scialytique tranchait cette vision, trois des quatre projecteurs étaient éteints, atténuant sa violence.

Je vérifiais mon appareil moteur, d’abord les orteils, puis les mollets, les genoux, les mains, les bras, tout semblait opérationnel. Cependant j’avais l’impression d’avoir la tête insérée dans un casque de moto trop étroit et que l’on me faisait tourner rapidement sur moimême.

Je dus me rendormir, lorsque je revins à moi, mon esprit était plus clair. La réalité reprenait un sens, mais lequel ? J’aurais bien été en peine de le dire, de le comprendre. La salle qui m’accueillait était aussi immaculée que le plafond, faïence blanche sur les murs et le sol. Je reposais sur une sorte de lit d’opération, gris, métallique et fonctionnel, plus une table de morgue, en réalité. Serais-je mort ? Absurde. Je libérais mes jambes et m’assis, je n’étais pas entravé. Etrange. Je m’imaginais être l’objet d’une expérience, que ces extraterrestres m’avaient utilisé à des fins de recherches, mais aucune marque ne couvrait mon corps. Ce qui ne prouvait rien, absolument rien.

Les jambes flageolantes je fis le tour de la pièce, tâtonnant le mur à la recherche d’une ouverture. Je n’en découvris aucune, pas la moindre fissure ou rainure prouvant l’existence d’une porte, je finis par revenir à mon point de départ et me rallongeais, en attente.

Une nouvelle fois j’ai dû m’assoupir, en me réveillant j’avais retrouvé une certaine vigueur et je remarquais la marque d’un cathéter dans le pli de mon coude. Quelqu’un ou quelque chose était donc entré pour me poser une perfusion. Je remarquais au pied du lit des vêtements propres, ceux que je portais avant de m’évanouir. Je ne l’avais pas remarqué, ou fait attention mais je me promenais nu. Rapidement je m’habillais, retrouvant un semblant de sécurité et d’assurance par ce geste rituel. J’explorais de nouveau la salle, à la recherche d’une issue, mais comme la fois précédente je me heurtais à des murs blancs et parfaitement lisses.

Je retournais à mon lit et remarquais un système électrique permettant de le lever et de l’abaisser, je m’amusais avec et l’élevais jusqu’à ce que mes pieds ne touchent plus le sol, puis le rabaissais brusquement. Cela trompait mon ennui.

C’est ainsi qu’ils me surprirent.

La position haute au maximum, les pieds ballottants, pédalant le vide.

Un pan de mur entier coulissa en silence, s’effaçant et laissant apparaître trois hommes. Deux en encadraient un troisième. Ce dernier m’intéressa vivement, il portait un jean délavé, des baskets plutôt usées et un t-shirt ample qui tombait mollement sur sa ceinture. L’air décontracté il arpenta la pièce les mains dans les poches. Puis il leva le regard sur moi, de ma hauteur, il me semblait assez petit, frêle. L’envie de le cogner me prit, passer ma rage sur quelqu’un me semblait une bonne mesure. Cependant mon instinct reptilien fit surface et refréna cette envie, l’animal avait perçu les prédateurs. Les deux gorilles en uniformes qui s’étaient plantés dans l’ouverture, ils ne semblaient pas armés mais tout à fait capables de me réduire en pâté lyophilisé pour astronaute avec leurs seules mains.

Je fis descendre mon perchoir et observais le jeune homme, il ne devait pas avoir plus de la vingtaine, des lunettes rondes masquaient des yeux vifs et malicieux, quelques taches de son, rappelant la rousseur de ses cheveux, tachetaient son visage au nez et aux lèvres fins. Foutrement humain me dis-je. Je lui fis remarquer :

– Vous êtes…. humain ? J’hésitais tout de même à sortir cette évidence.

– J’imagine que vous vous attendiez à des octopodes spongieux venus d’une civilisation inter-galactique ? Ou quelque chose de ce genre ? répondit-il d’une voix fluette et amusée.

– Ben, ouais. Fis-je assez platement et déconcerté par sa remarque.

– Ce n’est pas le cas. Il avait perdu son sourire affable et devenait sinistre. Savezvous que vous nous avez inquiétés ? Me questionna-t-il. Votre curiosité est des plus malsaines.

– Moi ? M’étonnais-je. J’étais incapable de comprendre ce qu’il me disait.

– Qui d’autre ? Vous êtes le premier à approcher d’aussi près notre noyau, notre Vérité. Il prononça le dernier mot avec emphase. Et si vous la découvriez, tout serait perdu. Le Nouvel Ordre n’aurait pu être.

– Attendez ! M’écriais-je. J’entrave que dalle à ce que vous me racontez. De toute façon, vous pouvez me supprimer comme bon vous semble.

– Le Nouvel Ordre ne tue pas. Contra-t-il, froidement.

– Alors,je suis prisonnier. Conclus-je.

– Nous préférons le terme invité ou hôte. Corrigea-t-il avec le plus grand sérieux.

– Je n’ai pas le choix alors. Je prenais en compte cette nouvelle réalité.

– Bien, vous êtes quelqu’un de… Il chercha ses mots. De… sensé. Tant mieux, cela nous évitera à tous deux d’arriver à de fâcheuses extrémités. Il frotta ses mains fines l’une contre l’autre et me fit un timide sourire.

– Je veux juste comprendre. Où suis-je ? Que voulez-vous ? Questce que le Nouvel Ordre ?

– Trop de questions, chaque chose en son temps. Suivez-moi je vous prie. Il s’engagea dans l’ouverture et je lui emboitais le pas. Les deux gardes du corps m’encadrèrent, semblant prévenir toute tentative d’agression ou d’évasion. Je leur fis un grand sourire :

– Je ne risque pas de tailler. Fis-je. Je ne sais même pas où je me trouve ni comment sortir, alors…

Ils comprirent et s’écartèrent un peu de ma personne, compréhensifs pour des primates.

– Vous êtes actuellement sur Aube Nouvelle. M’informa ce que je soupçonnais être un scientifique. Nous sommes en lévitation au dessus de Paris.

– Je suis dans le vaisseau ?

– En effet.

Nous traversions de longs couloirs lisses et grisâtres, uniformes et monotones. Mon guide reprit la parole :

– Savez-vous que votre curiosité vous a sauvé ? Nous aurions pu vous laisser agoniser aux pieds du noyau.

– Je croyais que vous ne tuiez pas ?

– En effet,mais dans ce cas présent, ce n’aurait été qu’une négligence de notre part, vous vous êtes approché trop près sans protection. Mais je vous disais, nous apprécions votre détermination, elle mérite une récompense.

– Je veux juste savoir et comprendre.

– Comme beaucoup. Gloussa-t-il. Comme beaucoup, mais peu se sont montrés aussi…Encore une fois il chercha son mot. Pugnace.

Au détour d’un de ces longs couloirs nous débouchâmes dans une vaste salle circulaire. Il y régnait un intense brouhaha, le bourdonnement lancinant de milliers d’écrans connectés à des serveurs informatiques faisait contrepoint à la mélodie des signaux d’alerte. Sur de vastes pupitres des voyants clignotaient dans un balletmulticolore. Rouge, orange, vert. Vert, rouge, jaune, orange. Plusieurs hommes s’activaient tout autour, vérifiant les moniteurs, enregistrant les données, nul ne prêtait attention à nous.

– La salle de contrôle. M’informa le jeune homme.

– J’avais compris. Ironique. Comment fonctionne-t-il ? M’intéressais-je.

– Le noyau central crée un champ magnétique très puissant, ce qui permet à l’ensemble de léviter et au corps de se maintenir à distance égale.

– Donc, si on détruit le cylindre, tout s’effondre ?

– Possible, mais n’essayez même pas. Il est conçu de sorte qu’aucune arme humaine ne puisse le toucher, pas même la bombe atomique.

– Comment est-il alimenté ?

– Simplement, il s’auto-alimente de l’énergie tellurique, il capte la chaleur du sol et les radiations solaires ou lunaires. Parfois il faut un peu augmenter la puissance et on utilise alors l’énergie des autres planètes, en dirigeant les satellites. Mais ce n’est qu’une explication succincte, je ne suis pas spécialiste de ce genre de choses. Vous devriez vous renseigner auprès des mécaniciens. Il m’indiqua un carré où se trouvaient trois hommes en tenue blanche, la barbe mal rasée.

– Vous êtes spécialistes en quoi ?

– Sociologie, comportement humain, j’observe et étudie ce qui se passe actuellement en dessous.

J’éludais.

– Et tous les vaisseaux de par le monde sont de même conception ?

– En effet, ils sont identiques.

– Mais pourquoi ?

– Pourquoi ? Vous ne le voyez donc pas ? Son visage impassible s’empourpra et son regard jeta des éclairs. Nous préservons l’humanité ! Regardez autour de vous ! Regardez les résultats.

– Vous êtes totalement tarés !

– Fous ? Non, bien sûr que non. Il reprenait un peu de son calme. Nous sommes lucides, trop lucides. C’est l’humanité qui est folle, pas nous.

Il me désigna un fauteuil et m’invita par là à m’asseoir.

– Je vais essayer de tout vous expliquer, écoutez bien : Ce que vous voyez ici est le résultat de longues années de recherches, tant sur la physique, la chimie, le comportement social, bref sur tous les sujets. Ces années de labeur ont donné le Projet Invasion.

– Le Projet Invasion ? Soufflais-je.

– Oh oui ! Le plus grand projet jamais conçu. Il s’extasiait. La conception et la création de ces vaisseaux, leurs mises en place discrètes au-dessus des capitales, notre silence. Tout cela ne sert qu’un seul but…

– Lequel ? Il éveillait ma curiosité.

– L’Ordre Nouveau, remettre en cause l’humanité, la mettre face à sa folie, à ses paradoxes et ses contradictions. Lui démontrer la futilité impérieuse de son existence même.

– Aberrant. Fis-je.

– Sûrement pas, regardez, nous avons réussi. En à peine dix ans nous avons remis en cause les valeurs humaines. Toutes, économie, religion, société.

– Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Vous avez détruit des siècles de progrès ! M’emportais-je.

– Le croyezvous vraiment ? A ce progrès. L’homme détruit la terre et se détruit. Soyez franc avec vous-même. Nous vous connaissons bien. Vous savez que l’Homme ne se respecte pas et qu’il ne respecte plus sa terre nourricière. Nous devions le sauver, nous l’avons sauvé.

– Je n’en suis pas si sûr. Contrais-je.

– Moi si. Il n’y a plus de guerres, une pollution et une production réduites au strict nécessaire. Ce que des années d’OTAN, d’ONU, de G8, G1,G20, G36, de protocoles de Kyoto en protocoles de Dehli, n’ont jamais réussi à régler, nous l’avons fait en moins d’une décennie. La religion ellemême n’est plus source de conflits.

– C’est inhérent à la nature humaine, rien ne change. Vous verrez dans quelques décennies, l’homme reprendra sa course au profit, les religions s’entredéchireront. Vous avez pu le voir, les religions précolombiennes ont été remises au goût du jour, ils pratiquaient le sacrifice humain.

– Un moyen commode de réguler la démographie. Il me fit un franc sourire.

– Et les Lovecraftiens, ils ont lancé le culte de Cthulhu, ne voyez-vous pas ce que cela peut impliquer dans les générations futures ?

– Quand l’homme régressera vers ses mauvais penchants, il sera alors temps d’instaurer l’Ordre Nouveau, de prendre le contrôle total ! Cela présageait carnage et destruction, j’en frémis.

– Je suis d’accord avec vous, l’Homme est une pourriture finie, j’aurais été d’avis de le laisser s’éteindre, inéluctablement.

– D’autres ne pensent pas comme vous.

– Vous.

– Pas seulement moi, je ne suis qu’un élément du projet Invasion et de l’Ordre Nouveau. Ces deux projets grandioses qui remodèleront l’humanité, ces vaisseaux porteurs d’un symbole d’espoir, tout cela, tout ce que vous voyez a été imaginé et conçu par Alexander Niszoviech, notre Maître et le Père d’une nouvelle humanité.

Je tombais des nues, jamais je n’aurais pu imaginer que cette réalité froide et métallique puisse sortir d’un tel esprit. En même temps, c’était si… logique.

Alexander Niszoviech, reconnu comme le plus grand humanitaire du siècle, Prix Nobel de la Paix, grand Défenseur des Droits de l’Homme. Et surtout, depuis vingt ans, président de l’UNICEF.

FIN

07
Mar
12

Les Toits

LES TOITS

    • Faut qu’on dégage d’ici. Le constat d’Eric était simple et tellement lucide.

    • Je sais. Fis-je morose. Mais quitter cette zone c’est crever.

J’observais notre planque de fortune, nous étions réfugiés au dernier étage d’un immeuble. Et cela faisait trois ans, trois ans que nous survivions ainsi, terrés dans ce petit appartement. Par chance l’eau, l’électricité et le gaz n’étaient pas coupés, cependant nous n’utilisions pas les deux derniers par discrétion et par sécurité. Nous commencions à manquer de vivres, malgré les raids que nous opérions dans le quartier. Bien sûr nous prenions le minimum de risques, commençant par les bâtiments mitoyens, nous avions pillé cuisines et garde – manger, cela nous avait permis de tenir. Mais depuis quelques temps nous devions opérer de plus en plus loin, ce qui leur offrait une chance de nous avoir.

Nous étions six à partager le loft exigu, nous vivions dans la pénombre, toutes les issues, portes, fenêtres étaient colmatées, même les grilles d’aération. Seule une sortie par le toit était ménagée nous permettant de sortir ou de fuir. Nous avions isolé l’appartement du bruit en plaquant des matelas, récupérés lors de nos expéditions, contre les murs, de l’extérieur on ne pouvait deviner notre présence, et leurs hurlements ne pouvaient nous atteindre.

Pour l’heure je me les gelais sur le toit, tour à tour nous nous relayions pour monter la garde, à la moindre alerte un peu sérieuse notre plan d’évacuation se mettait en place et nous décampions vers une position de repli, six cents mètres plus loin, en utilisant les passerelles que nous avions installées entre les toits.

J’observais la nuit qui tombait lentement, arrosant les toits de tuiles d’une couleur sanglante, de lugubres gémissement montaient vers moi, c’était une heure que j’appréciais particulièrement et j’en profitais pour me vider l’esprit de l’horreur qui nous entourait. Eric, qui savait pourtant que je n’aimais pas être dérangé dans ces moments m’avait rejoint, l’homme de couleur avait quelque chose d’important à me dire :

    • Les filles se plaignent du manque d’espace, de l’hygiène et du manque d’intimité…

    • Putain ! Qu’est ce qu’il leur faut ? Ça ne me plaît pas non plus de me terrer ainsi, mais nous n’avons pas le choix.

    • Je sais bien, mais cela devient dur pour tout le monde.

Je poussais un soupir, elles n’étaient que deux, Sarah et Julie, et nous quatre étions aux petits soins pour elles, la seule chambre leur était réservée et elles ne prenaient jamais part aux raids, nous évitions de les confronter à la sordide et violente réalité. Bien sûr elles s’occupaient de l’entretien des lieux, c’est vrai que quatre mecs qui dorment entassés dans la même pièce, cela finit par sentir le fauve, mais nous n’y pouvions pas grand chose.

    • Il faudrait trouver une planque plus grande. Continua Eric.

    • Et des armes. Ajoutais-je.

    • Là, c’est pas gagné. Aucune émotion dans sa voix, aucun désespoir, juste un constat évident.

    • Je sais, une planque plus grande implique une nouvelle sécurisation, du boulot en plus.

    • On pourrait quitter la ville, se diriger vers la campagne.

    • Je ne suis pas sûr que cela facilitera les choses. Et quitter la ville me semble pratiquement impossible.

    • En tout cas, Sarah et Julie ont ça en tête, elles veulent prendre l’air, elles n’en peuvent plus d’être enfermées.

    • Je vais leur parler., prends le relais.

Je n’étais pas le plus diplomate du groupe, ni le plus organisé, mais tous avaient décidé de me faire confiance, ils comptaient sur mon sang froid et sur le détachement que j’affichais depuis le début. Implicitement je menais le groupe, techniquement je demandais l’avis de chacun avant de prendre la moindre décision, décision qui pouvait compromettre notre survie. J’avais décidé que nous n’agirions que si tout le monde était d’accord, que la moindre objection serait retenue, évidemment cela impliquait beaucoup de discussions, pour certains, comme Eric, une perte de temps. Je lui avais expliqué que je préférais avoir un groupe uni, tourné vers le même but, plutôt qu’un seul d’entre nous remette en cause notre sécurité et notre survie car il n’était pas satisfait d’une décision. Cela marchait plus ou moins.

Je réintégrais l’appartement, je mis quelques secondes avant de pouvoir distinguer quoi que ce fût, dans le salon les matelas sur lesquels nous dormions que d’un œil étaient repoussés contre le mur pour gagner un peu d’espace. Lionel et Guillaume tapaient le carton sur la table basse, à côté Chose roupillait, il remua de la queue à mon passage. Chose c’était le ratier de Julie, un chien indescriptible qui tenait plus de la parenté avec le Gremlin qu’avec le genre canin, par contre il valait le système d’alarme le plus sophistiqué.

Je me dirigeais vers le coin cuisine, pour éviter d’utiliser le gaz, Lionel nous avait bricolé un four à bois et la chaleur dans la petite pièce était peu supportable. Sarah était assise devant la table, elle fixait la nappe, ses cheveux bruns lui tombant sur le visage, Julie, quant à elle s’affairait autour d’un fait-tout d’où s’échappait une odeur grasse.

    • Tu nous fais encore ton cassoulet ? Fis-je l’air dégoûté. Tout les mois la petite blonde originaire de Toulouse nous forçait à avaler son cassoulet, qui n’avait plus du plat que le nom. C’était une façon pour elle de se rapprocher de ses origines.

Sarah me lança un regard lourd de reproches :

    • Réunion dans cinq minutes. Ordonnais-je pour couper court à toute remarque.

Nos conseils se déroulaient dans le salon, nous nous y réunissions tous les six et débattions des problèmes en cours :

    • Qu’est ce qui va pas avec vous deux ? Je m’adressais directement aux filles en ne prenant pas quatre chemins, je considérais que le fait de vivre en communauté restreinte nous offrait l’avantage de s’épargner de la diplomatie inutile et nous obligeait à crever rapidement les abcès.

    • Je me sens à l’étroit, cela fait trop longtemps que je ne suis pas sortie. Bougonna la petite blonde avec son accent chantant.

    • J’en ai marre de rien faire, vous les garçons vous sortez, vous allez dehors. Elle cherchait ses mots et sa façon de prononcer ses  » r  » signalait son origine hispanique. Je veux sortir, prendre des risques, voir le soleil et la campagna ! Ou au moins trouver un endroit plus grand.

Nous nous regardions, nous les garçons, nous pensions les protéger et leur rendre service en les empêchant de foutre les pieds dehors, apparemment pas.

    • Ok, j’ai pigé, qu’est – ce que tu proposes ? Je posais la question à Sarah, sachant que des deux c’était elle la meneuse.

    • Qu’on quitte ce trou à rats, vers la campagne, qu’on quitte cette putain de ville ! S’exclama-t-elle.

    • Cela va être sportif ! Commenta Eric avec humour.

    • Non, c’est totalement suicidaire ! Rétorquais-je. Nous sommes en mode survie, je crois que tu n’as pas compris ce qui nous attend dehors, je te parle pas d’une dizaine, d’une petite centaine ou d’un léger millier, je te parle de dizaines de mille d’une population toute entière ! Merde ! Ils n’attendent qu’un mauvais geste de notre part pour nous bouffer ! La moindre erreur et nous sommes morts !

    • Pourtant quand je monte la garde j’en vois pas beaucoup. Se défendit-elle. Ils sont peut – être partis.

    • Pour aller où ? Je ne suis pas sûr que ce soit de grands amateurs de ballade en forêt. Et si tu n’en vois pas beaucoup, c’est que les gars et moi on fait le ménage chaque fois qu’on sort !

    • Ok, on peut pas quitter la ville mais on peut peut – être trouver une planque plus grande ? Lionel venait à la rescousse des filles. Il fit un sourire chaleureux à Julie.

    • Un endroit plus grand, y’a intérêt qu’il soit foutrement sécurisé ! Intervint Eric

    • Et les casernes militaires ? C’est protégé, y’a des armes et de la bouffe sans doute.

    • Et sans doute des militaires survivants et paranoïaques, pas envie de me faire plomber le cul ! Contrais-je.

    • En gros, on est bloqués là pour un bon moment. Soupira Sarah.

Je l’observais, c’était une jolie hispanique aux cheveux striés de reflets cuivrés, à la bouche pulpeuse et au nez mutin. Je vis une telle détresse dans ses yeux légèrement en amande que je cédais un peu de terrain :

    • Je connais un coin qui pourrait faire l’affaire. Fis-je

Elle releva la tête :

    • Où ? Pleine d’espoir.

    • Pas très loin, le collège Henry IV. Je m’approchais de la carte que nous mettions à jour à chacun de nos raids. C’est là. J’indiquais un point sur la carte à a peine 800 mètres de notre cachette. 800 mètres, le bout du monde.

    • Ça se présente comment ? Eric pragmatique.

    • Mur d’enceinte d’au moins deux mètres, portail en acier solide, le bâtiment est de brique rouge, c’était une ancienne usine.

    • Je vois, c’est vers Magenta.

    • Juste à côté.

    • Pas loin d’une armurerie ! Jubila Guillaume.

    • Vous emballez pas, on y est pas encore, va falloir faire quelques raids de nettoyage et de repérage. Ça vous tente une petite virée les filles !

Elles me regardèrent étonnées.

    • Cela vous permettra d’apprendre les signes que nous utilisons lors de nos déplacements. Évidemment il y a une condition.

    • Laquelle ? S’inquiéta Sarah.

    • Vous obéissez aux moindres de nos ordres.

    • Ceux de qui ? Julie candide.

    • De moi et Eric. Quand on signale repli, c’est repli.

    • Ça marche. La petite brune était motivée.

    • Je sais pas trop, j’ai un peu peur. La toulousaine se recroquevilla sur elle même.

    • Tu viendras avec moi et Eric. La rassura Lionel.

Elle eu un bon sourire et hocha la tête en signe de connivence.

Comment nous nous retrouvions dans cette situation ? On pourrait dire que ce n’est qu’un enchaînement de circonstances, un heureux hasard ou un instinct qui nous a poussé à ne pas suivre le mouvement. Cela a commencé lors d’une soirée comme les autres, Julie venait juste de s’installer dans l’immeuble et nous avions pour tradition, nous les anciens, Sarah, Eric et moi, d’organiser un apéro d’accueil. Pour faire connaissance et pour favoriser une bonne entente entre voisins. Nous discutions de sujet divers, de nos parcours, des banalités habituelles quand nous entendîmes des cris à l’extérieur, d’abord éloignés et épars puis de plus en plus proches et insistants.

Nous approchâmes de la grande baie vitrée qui donnait sur la petite rue pour voir de quoi il retournait et le spectacle qui s’offrait à nous était effarant. Sortant des immeubles voisins, les habitants se précipitaient dans leurs voitures et essayaient de quitter l’endroit, générant un embouteillage et plusieurs accrochages violents. Au milieu de cette cohue nous perçûmes un être étrange, il se déplaçait lentement et titubait comme ivre. De loin nous ne pouvions percevoir les détails, mais il nous semblait qu’il ne se comportait pas tout à fait normalement. Au fur et à mesure d’autres personnes semblant être atteintes des mêmes symptômes apparurent, se dirigeant inéluctablement vers les valides.

    • C’est quoi ce merdier ? Grogna Guillaume.

    • J’en sais foutre rien mais ça craint. Répliquais-je.

    • Nous devrions peut – être partir d’ici ? Suggéra Sarah.

    • Non, regarde le bordel que c’est, attendons que cela se calme. Si nous sortons nous nous ajoutons à la panique et j’ai pas envie de me faire écraser. Intervint Eric.

    • Mais si c’est comme ça partout ? Il faut retrouver nos familles, nos amis, on peut pas rester là à rien faire !

    • Pour moi c’est la meilleure solution. J’appuyais l’avis d’Eric, n’étant pas très porté sur les bains de foule je ne voulais pas me retrouver pris dans une masse paniquée. J’ai horreur des instincts grégaires.

    • Y’a plus de réseau ! Julie s’acharnait sur son portable, massacrant ses touches.

    • Allume la télé ! Voir ce qui se passe. Conseilla le noir.

Nous nous rendions dans le salon où le petit écran crachotait une image entrecoupée de neige et de parasites. La chaîne d’informations diffusait des vidéos du monde entier, toutes les capitales étaient atteintes de cette sorte de folie. Un des envoyés spéciaux parlait d’hallucination collective et conseillait aux téléspectateurs de rester chez eux. Puis un porte – parole de l’armée nous assura que la situation était sous contrôle, qu’il ne fallait pas céder à la panique. Vu les cris qui nous parvenaient, peu de citoyens devaient être devant leurs postes. Nous décidions de rester cloîtrés dans l’appartement et d’attendre le lendemain. Pendant une bonne partie de la nuit la télévision diffusait les mêmes informations puis cessa tout bonnement d’émettre. La radio ne nous était pas d’un grand secours, le message du porte – parole de l’armée tournait en boucle. Cette nuit là aucun de nous ne dormit, attendant le signe de vie d’un ami, de secours ou d’une autorité quelconque pouvant nous expliquer de quoi il retournait. Rien.

Le lendemain était calme par rapport aux hurlements qui avaient rythmés notre demi sommeil, silence bercé de grognements rauques et de râles lugubres.

    • Je vais voir ce qui se passe dehors.

Guill prit cette décision, c’était le plus costaud de notre groupe, il travaillait dans le gros œuvre et sa carrure d’armoire normande nous faisait paraitre chétifs à côté de lui. Pendant que Lionel descendait à son appartement récupérer quelques ustensiles de cuisine, Eric et moi nous nous postions à la baie vitrée pour observer la progression de notre colocataire. Il sortit dans la rue et fit quelques pas vers les voitures qui l’entravaient quand quelque chose lui agrippa le mollet, il assena un puissant coup de pied à la créature qui le lâcha. Précipitamment il revint dans l’immeuble et referma la lourde porte.

    • Venez m’aider putain ! Faut bloquer la lourde ! Il y avait de la terreur dans sa voix et nous l’entendions s’activer dans le premier appartement, il déplaçait des meubles lourds.

Nous nous précipitions à son secours, il soulevait un gros buffet qu’il traînait sur le sol, je regardais avec un pincement au cœur ce meuble quitter mon appartement, mais je me saisis d’un des côtés et le levais, sans ménagement le colosse le projeta contre la porte. Nous fîmes de même avec tous les meubles qui nous tombaient sous la main, y mettant plus de zèle que nous entendions les grognements qui nous parvenaient de la rue et les coups violents qui se répercutaient dans le hall. Au final le rez de chaussée se retrouva encombré du mobilier de trois appartements, entassés les uns sur les autres, ils formaient une barricade hétéroclite, même les fauteuils en forme d’œuf pop-art que Sarah adorait constituèrent ce rempart improvisé. Nous regardions cet amas quand Guill s’effondra.

Nous avions eu un mal fou à hisser ses 130 kilos de muscles jusqu’au troisième, mais en suant et en ahanant, nous y parvînmes. Une fois sa carcasse installée sur le canapé je demandais à Eric de s’en occuper. Il avait fait six ans de médecine avant de se reconvertir dans un secteur où les études étaient moins longues et les revenus plus lucratifs : la finance. Lionel nous aida à maintenir les deux jeunes femmes à l’écart en s’enfermant avec elles dans la cuisine. Après avoir ausculté le colosse il m’affirma qu’il n’avait aucune blessure, son malaise était peut être dû à une frayeur sans nom. L’adrénaline ne dopant plus le système il se met en stand-bye (Je rapporte ce que j’ai compris, les termes techniques ne sont pas ma spécialité).

Julie entra dans le salon, un plateau chargé de tasses fumantes :

    • Qui veut un… A la vue de Guillaume sans connaissance elle le lâcha et son contenu se répandit au sol. Qu’est ce qui se passe ? S’écria-t-elle.

    • Pas de panique. La rassura Eric. Il va bien, il faut qu’il se repose.

Elle restait là les bras ballants à fixer le vide. Je m’approchais d’elle et la secouais doucement, pas de réaction. Je lui flanquais une gifle magistrale et elle reprit ses esprits.

    • Aïe ! T’es dingue ou quoi ?

Je ne répondis pas, mais la scrutais.

    • Quoi ? Qu’est ce qu’il y a ?

    • Rien, t’étais ailleurs. Répondis-je. On s’occupe de Guillaume, ne t’inquiètes pas.

Autant parler à un mur, quand elle se souvint de Guill elle se précipita auprès de lui et le materna pendant les deux jours où il resta ainsi. Pour moi il était difficile d’imaginer ce grand gaillard tomber dans les pommes pour une petite frayeur. Nous renforcions notre barricade et ramenions toutes les provisions que nous pouvions trouver dans nos appartements. L’inutile nous le laissions là où il se trouvait.

Notre déménageur était sorti de sa torpeur et nous le pressions de questions. Il ne se souvenait pas vraiment de ce qui l’avait attaqué, mais il en gardait une sale impression. Il prétendait, et nous le crûmes, qu’ils étaient des centaines dehors, prêts à nous bondir dessus, qu’il ne fallait pas espérer franchir ne serait-ce que la rue. Cela nous posait un problème, un sérieux dans le genre, comment allions nous faire quand nous n’aurions plus rien à manger ? La solution nous vint assez rapidement en fait, tenter de passer uniquement de toit en toit, cela devait être faisable vu la configuration de la rue.

Aussitôt Eric et moi décidions d’essayer, un velux dans la salle de bains nous permettait de grimper sur notre toit, après nous aviserions. Une fois sur les tuiles nous avions remarqués qu’étant placés au centre du lotissement, nous avions accès à tous les immeubles environnants.

    • J’aurais su avant, j’en aurais profité pour aller mater la voisine ! Gloussa-t-il.

Depuis qu’il avait emménagé il faisait une fixation sur une petite asiatique du quartier.

    • T’aurais eu de la concurrence. Ricanais-je.

Nous avions atteint un nouveau velux, placé sur un toit plus bas, à coups de pied nous défonçâmes le plexiglas et jetions un coup d’œil à l’intérieur. Une vision effroyable, digne des plus crade des Romero, s’offrit à nous. Autour de ce qui semblait être un corps se tenaient plusieurs créatures grisâtres, elles étaient à quatre pattes, encerclant le cadavre et semblant se repaître de ses organes, une mare de sang noirâtre inondait le sol. Un des monstres s’écarta du corps et se dirigea vers la tête, l’espace vide qu’il créa nous montra ce qu’il restait de l’infortuné qui leur servait de banquet, l’abdomen complétement ouvert, comme déchiré par les griffes d’un gros félin, les organes étaient à moitié dévorés et les intestins se répandaient en une matière visqueuse sur ses jambes. La créature qui s’en était écartée pris sa tête encore intacte entre ses mains décharnées, il la porta jusqu’à sa bouche et d’un coup de mâchoire éclata la boîte crânienne. Ce fut la curée, tous les monstres se précipitèrent sur la matière spongieuse qui s’écoulait et l’ingurgitèrent, certains léchaient même le sol, nettoyant toutes traces de cervelle.

    • Putain, c’est quoi ? Me souffla Eric.

    • Je sais pas, mais ils ont l’air d’avoir la dalle ! Gloussais-je.

    • C’est pas drôle bordel ! Y’a un mec qui est en train de se faire bouffer !

    • Désolé, c’est nerveux. Moi, ce genre de truc ça me fait penser à des zombies.

    • Quoi ? Des putains de zombies ! Mais ça n’existe que dans les films ou dans les jeux vidéos !

    • Ben, peut-être qu’ils avaient raison et que ça existe bel et bien.

Un des zombies, puisque nous avons décidé de les désigner ainsi dû nous entendre, il tourna son visage vers nous et ses yeux caves se fixèrent sur notre position.

    • Merde, il nous a repérés ! S’écria mon compagnon.

Il se dirigea vers le velux, bizarrement, malgré la situation je fis attention aux détails. Ses bras avaient une teinte rosée striée de marbrures grises, de même que son visage où seuls ses yeux morts et vitreux indiquaient qu’il n’était pas ou plus humain, sûrement pas vivant car l’humeur vitrée s’écoulait lentement sur ses joues, autour de ses lèvres oscillant entre le bleu et le noir des taches de sang formaient un maquillage glauque. Ses congénères remarquèrent notre présence et se dirigèrent vers nous. Ils se contentèrent de se placer en dessous du velux, bras tendus vers nous, en émettant des grognements gutturaux, comme s’ils nous invitaient à les rejoindre. Aucun ne pensa à disposer une table qui leur permettrait de nous atteindre, pourtant la pièce ne manquait pas de mobilier qui aurait pu servir d’escabeau.

Quoiqu’il en soit nous ne sommes pas restés suffisamment longtemps pour vérifier s’ils en auraient eu l’idée, nous avons décampé de notre point d’observation.

Retour à l’appartement :

    • Vous avez fumé ou quoi ? Des morts vivants ? Le ton ironique de Julie annonçait une longue explication que ni Eric, ni moi n’avions envie de subir.

    • Vas faire un tour dehors si tu ne nous crois pas ! Lui lançais-je tout en attrapant la bouteille de Vodka glacée.

    • Commencez pas comme ça ! Intervint Lionel. Moi je vous crois.

    • Moi aussi. Renchérit Guillaume.

    • Mais cela n’existe pas ! S’insurgea la petite blonde.

    • Il y a les zombies vaudou, les hommes que l’on a enterré vivants et bien d’autres phénomènes de résurrection. Comme le Christ. Sarah essayait de nous venir en aide, cependant je sentais qu’elle ne nous croyait qu’à moitié.

    • Ce ne sont que des histoires ! Rien n’est vrai ! S’énerva la toulousaine.

En y réfléchissant, les mecs étaient peut être plus enclins à accepter une invasion de goules. Les films de Romero ou de série Z, les jeux vidéos nous avaient peut-être largement conditionnés à cette éventualité.

    • Alors comment expliques-tu que le quartier soit désert ? Demandais-je à Julie d’une voix calme.

    • Je sais pas, ils sont partis.

    • Où ? Les rues sont encombrées de bagnoles, on peut pas se tirer par la route. Je lui dressais rapidement l’analyse que j’avais faite de la situation.

A contrecœur, elle finit par accepter notre version des faits mais se renfrogna et bouda le reste de la journée. Même Lionel ne parvint pas à la dérider avec ses pitreries.

Nous avions dès lors mis en place un plan de survie : Le Mode Survie. Nous décidions de piller les immeubles environnants à la recherche de denrées non périssable, pour constituer un stock, de produits d’hygiène et de toutes choses indispensables. Avec Guillaume et ses talents manuels nous mettions en place un système de passerelle avec du bois récupéré un peu partout, porte d’appartement, d’armoires, tout ce que nous pouvions utiliser. Puis nous décidions de partir pour notre premier raid.

    • Pensez à nous les gars. M’interpella Sarah.

    • Comment ça ? M’étonnais-je.

    • Il y a certaines choses auxquelles vous ne penserez pas et qui nous sont indispensables, à nous les filles. Elle me glissa un papier que j’ouvris.

    • La liste des courses ? Ironisais-je.

    • Et n’oublie rien surtout.

    • Va nous falloir un caddie. Gloussais-je.

    • Dégage ! Elle me plaqua un baiser sur la joue.

Je rejoins les autres gars sur le toit, pour les armes c’était encore du système débrouille, un couteau fiché au bout d’un manche à balai pour Lionel, une batte de base-ball, relique d’un de ses voyages aux USA pour Eric, Guillaume avait bricolé quelque chose qui me semblait assez dangereux à manipuler, au bout d’une ceinture il avait fixé un lourd hachoir à viande qu’il faisait tournoyer comme une fronde avant de l’abattre. Il m’en fit la démonstration sur une planche de bois, la puissance du coup me laissa perplexe, il avait fendu une porte renforcée ! Quant à moi j’avais fait simple et efficace, dans mon appartement je remis la main sur mon arc à poulie et avec l’aide des filles j’avais taillé des flèches.

    • Ça c’est du matos ! S’extasia Lionel.

    • Sûr, certains s’en servent pour la chasse, ça transperce un sanglier ! Let’s go ?

    • Rock’n’roll ! S’écria Guill.

Je pris ça pour un oui. Nous avions convenu d’une stratégie de déplacement. J’ouvrais la marche quelques mètres avant le groupe, en éclaireur, suivait Lionel, Guillaume puis Eric qui formait l’arrière garde. Nous essayions de faire le minimum de bruit possible, mais sur les tuiles cela tenait de l’impossible, elles cassaient dans des claquements retentissants, se détachaient et s’écrasaient plusieurs mètres plus bas en éclatant en dizaines de morceaux. Plus loin, nous nous arrêtâmes, nous ne l’avions pas dit aux filles mais ce raid n’avait pas que pour but de récupérer des vivres mais aussi d’éliminer un maximum de morts-vivants. A commencer par ceux enfermés dans les autres immeubles. L’opération ne posa pas de souci majeur, nous nous posions au dessus d’un velux en faisant un maximum de bruit, les zombies, attirés se mettaient à notre aplomb et il nous suffisait de les éliminer. Un coup violent sur la tête était la meilleure méthode, à condition d’éclater la boîte crânienne. Il y a, au bout du compte, une sacrée différence entre les films ou les jeux vidéos et la réalité. Il est facile de dézinguer du zombie, au chaud dans son canapé une manette entre les mains, de regarder un groupe de héros équipés de M16 aligner les cibles comme à l’entraînement. Cela ne nous fait pas ressentir le sang qui nous gicle dessus, humer l’odeur de la chair putréfiée, entendre les derniers râles de non-morts mourant et surtout, surtout, cela ne nous explique pas que face à nous il y a un voisin, un ami, un parent. La petite mémé que l’on croisait à la boulangerie et à qui on aurait aimé botter le train pendant qu’elle comptait sa petite monnaie, la petite voisine d’en face que l’on apercevait au travers de ses rideaux trop transparents et qui alimentait nos fantasmes, le voisin abruti qui garait sa Golf GTI comme si la rue était à lui. Tous ces gens que l’on aimait ou détestait se retrouvaient devant nous. Les premiers raids comme celui-ci furent éprouvants, puis, à croire que l’on s’y habitue nous faisions ça machinalement, sans plus aucuns état d’âme (ou presque).

Chaque immeuble nettoyé était noté sur une carte que nous avions dressée et quand nous ne procédions pas au « ménage », Eric et moi partions en reconnaissance, nous repérions les zones les plus infestées, les nids comme nous les appelions et les ajoutions à notre plan. Après quelques mois notre secteur s’étendait à peu prés sur trois rues et était débarrassé de ses zombies, du moins les bâtiments. Dans la rue c’était une autre paire de manche, les voitures créaient un véritable labyrinthe de tôles et nous empêchait d’agir à découvert. De n’importe quelle cachette pouvait surgir une des goules pour nous dévorer. Trop dangereux.

Au fur et à mesure notre zone sécurisée s’étendait mais nous restions confinés dans l’étroit appartement, comme si la promiscuité nous rassurait.

Mais aujourd’hui nous étions arrivé à un point de non retour, j’avais compris que rester dans cette situation c’était prendre le risque de faire éclater les dissensions au sein de notre groupe. Guill et Eric voyaient, depuis longtemps, d’un mauvais œil la relation ambigüe qu’entretenaient Julie et Lionel, Sarah s’exaspérait de notre manque d’ordre. Et moi au milieu je faisais la navette, calmant les uns, tempérant les autres et j’en avais ras le cul. Rester statique revenait à courir à notre perte et au final ce ne serait pas les zombies qui nous tueraient mais nous mêmes. Alors je décidais de prendre le risque, objectif le collège Henry IV et advienne que pourra.

Nous avions passé deux semaines à former les filles à nos codes et techniques de combat. Sarah se débrouillait bien, elle avait choisit une lourde poêle à paella au manche très long, lorsque je la vis pour la première fois avec je me moquais d’elle :

    • Ma grand-mère s’en servait pour corriger son mari et la douzaine de mômes qui lui couraient dans les pattes, c’est une arme qui a fait ses preuves ! Me répondit-elle avec le plus grand sérieux.

Elle illustra la remarque en me mettant un coup léger dans le genou, le poids et la vitesse de l’ustensile multiplia la puissance du mouvement et le choc fut brutal, une onde de douleur courra sur

ma pauvre jambe.

    • Tu vois, c’est efficace. Elle déposa un léger baiser sur mes lèvres en riant.

    • Merde ! Ça latte ! Beuglais-je.

    • Ne remet jamais en cause des techniques ancestrales pratiquée par des générations de femmes ! Tu veux que je te démontre l’utilité du rouleau à pâtisserie ? Minauda-t-elle.

La perspective m’effraya :

    • Non, ça ira, je te crois sur parole.

Julie, quant à elle, avait opté pour une arme non moins conventionnelle : un extincteur.

    • Tu m’expliques ?

    • On va jouer avec le feu ! Me déclara Lionel en me tendant des bouteilles de verre emplies de White Spirit et méchés à l’aide de tissus.

Je soupirais, pourquoi pas après tout, au programme méchoui de zombies pensais-je. Je repartis les équipes, d’un côté Lionel, Eric et Julie, de l’autre Sarah, Guill et moi. Nous avions repérés une rue qui nous semblait pratique pour accéder au collège, cependant il s’y trouvait une boîte de nuit et un restaurant, donc des goules à foison. Je vérifiais mes armes, mon carquois improvisé était plein de flèches, elles étaient constituée d’un corps en bois, d’ailettes en plumes de pigeon qui améliorait la portance et d’une pointe en acier, lourde et affûtée à la main, plusieurs heures de boulot, un véritable travail d’orfèvre. La puissance de l’arc associé aux projectiles permettait de transpercer une goule, je m’appliquais à viser la tête mais si le coup ratait, le zombie se retrouvais empalé par la puissance du choc et parfois même cloué à un mur derrière lui ou au sol. Eric se chargeait de la finition tandis que Sarah protégeait ses arrières.

Nous avions divisé l’opération en plusieurs étapes, la première, en passant par les toits consistait à sécuriser la zone et à nous ménager un trajet de repli, puis nous reformions le groupe en haut de la rue, éliminions un maximum de monstres au sol pour enfin nettoyer les rez de chaussées.

L’exécution de la première partie de ce plan ne fut pas difficile à réaliser, après avoir sécuriser les toits, chaque groupe d’un côté de la rue, nous nous retrouvâmes tous à même hauteur.

    • Hé, c’est ok pour nous ! Beugla Eric.

Je lui fit un signe du pouce, pour nous aussi ça roulait. Je me tournais vers Guillaume :

    • On descend ?

    • Je suis prêt. Il soupesa sa batte de base-ball, l’air concentré.

    • Ça va pas être aussi facile. Commentais-je à l’attention de Sarah. Elle se contenta de hausser les épaules.

    • On y va ? De l’autre côté Lionel s’impatientait.

    • Ouais, on se retrouve en bas. Criais-je.

Dans la rue, une fois regroupé, j’exposais la seconde partie du raid :

    • Je ne veux pas de mauvaises surprises, Guill, Eric et moi on fait le ménage dans tous les appartements, vous trois vous assurez nos arrières.

    • Ok, on reste ici et on vous attends, Approuva Lionel.

    • Restez prudents. Fis-je en guise de salut.

    • Non ! On ne sépare pas ! S’écria Sarah. C’est hors de question !

    • Putain, on a besoin de vous pour nous sécuriser, et c’est pas à l’intérieur que vous serez utiles ! Contrais-je.

    • Je te proposes que l’on reste devant la porte, comme ça s’il y en a qui essaient de sortir ou d’entrer, on s’en occupe.

    • Mais en cas de gros problèmes on y passe tous ! Mon dernier argument.

    • Cela vaut peut être mieux, cela nous évitera d’avoir a vous… Il ne termina pas sa phrase mais son regard en disait plus long.

    • Elle a pas tort. Intervint Eric. Qu’ils viennent, mais ils restent à l’extérieur.

    • J’ai pas franchement le choix. Concédais-je. Allons-y.

Nous slalomions prudemment entre les bagnoles laissées à l’abandon, elles encombraient la rue dans un chaos de tôles et de morceaux de verre. Le moindre interstices dans cet amas pouvait se révéler un piège mortel, trop de cachettes ou d’endroits d’où ils pouvaient surgir, méfiant nous longions le trottoir sur lequel suffisamment d’espace nous permettait d’avancer à deux de front. Avec une lenteur exaspérante nous atteignîmes le bout de la rue :

    • Côté pair ou impair ? Demanda Lionel.

    • Quoi ? Réagis-je.

    • Par quel côté on commence ?

    • J’en sais rien. Peu importe au fond.

    • Ok, on se la joue à pile ou face. Pile c’est les pairs, face les impairs., Il degaina une piéce de monnaie, objet désuet aujourd’hui, qu’il jeta dans les airs. Elle tournoya sur elle même avant qu’il ne la rattrape.

    • Pile ! S’écria-t-il.

    • Ok, on y va.

Pile, pair, cela nous forçait à traverser la rue, je laissais Eric et Guill s’y engager avec prudence, c’était nos deux meilleurs atouts en cas d’attaque frontale. Sur le trottoir d’en face ils me firent signe d’avancer. Je traversais le cimetière automobile, les sens à l’affût, me concentrant sur l’avancée et mes amis de l’autre côté. Je m’arrêtais net, un bruit sur ma gauche, un gémissement sourd et lugubre que je connaissait trop bien maintenant, j’encochais par réflexe une flèche, attentif au moindre mouvement. Je me tournais vers la source du son, Dans le siège conducteur d’un vieille Peugeot se débattait un zombie, il essayait de se libérer de la ceinture de sécurité. Je ne fis pas un geste, pas un bruit mais il me repéra, peut être l’odeur songeais-je. Il devint ivre d’une rage incontrôlée, luttant de plus en plus violemment pour se défaire de son entrave, il tourna sa face aux yeux absents, sa peau grise avait pris des teintes verdâtres et bleue, la décomposition faisait son œuvre. Fouetté par la conscience de ma présence il se débattit encore plus, gigotant en tous sens comme un forcené, il se cogna la tête a plusieurs reprises contre le volant et continuait comme s’il voulait l’arracher. Le manège dura un moment, puis il s’immobilisa et se retourna vers moi. Son nez n’était plus qu’un amas gélatineux de chair et de cartilage et sa mâchoire inférieure s’était décrochée, elle pendait mollement sur sa gauche, retenue par un muscle encore assez frais, elle tressautait au moindre de ses mouvements. Il poussa un râle de frustration, la complainte d’une agonie sans fin surgi d’une profondeur caverneuse et insondable. Je décochais un tir en pleine tête qui le cloua à son siège, il eu encore quelques spasmes puis cessa de bouger. Je me réfugiais auprès de mes amis.

Tout le monde nous avait rejoint, devant la première porte nous hésitions, qu’y avait-il derrière ? Qu’est ce qui nous attendait ? Si nos suppositions étaient exactes, rien, la population avait dû essayer de fuir et de quitter leurs habitations. Guill resserra ses mains sur sa batte et je fis un signe de tête à Eric, d’un coup de pied il ouvrit la porte. Un nuage de poussière nous assaillit. Et le silence, un silence comme nous n’avions plus entendu depuis longtemps, pas celui hostile de la bête tapie dans l’ombre guettant sa proie. Non. Celui serein du calme de la maison vide de tout occupant.

    • On visite les pièces une par une. Ordonnais-je.

    • Ok. Eric réagissait toujours rapidement et positivement, pas de récriminations.

Cela se répéta sur plusieurs immeubles, vides, tous. Nous avions atteint le milieu de la rue et le groupe au complet investissait méthodiquement les lieux, bien qu’un d’entre resta toujours prés de la porte, à nous avertir de tout mouvement suspect. Nous avions pénétré une maison de deux étages quand nous perçûmes des plaintes aigües, comme celle d’un chat qui miaule sans vraiment miauler. J’intimais aux filles de rester en arrière, ce son était trop étrange, trop différent. Eric m’accompagna, nous ouvrions une à une toutes les pièces, salon chambre, toilettes, désertes. La cuisine, les gémissements en provenaient. Avec précaution nous entrâmes, la première chose que je vis fut la table et le frigo, genre gros frigidaire américain qui bouchait une partie de la pièce. Les reliefs d’un derniers repas jonchaient la table et se décomposaient dans les assiettes, une fine coche de poussières grisâtres les recouvrait. L’odeur était suffocante, mais le peu de plats en putréfaction bien avancée, la teinte noirâtre qu’ils avaient prise l’attestaient, ne la justifiait aucunement, il y avait autre chose et cet autre chose faisait maintenant un potin de tous les diables. Des grognements rauques et caverneux se succédaient à des petits cris aigus et plaintifs, mettant nos oreilles au supplice.

Je contournais la table, avec toute la prudence nécessaire et requise, Eric me suivait de prés. La vision qui me frappa fut atroce et s’imprima dans mon esprit aussi profondément qu’un poignard chauffé à blanc dans une tome de beurre, j’en fais encore des cauchemars. Il nous fixait de ses yeux absents, deux petites cavités noires suppurant une mélasse sanguine et purulente, la chair de ses joues à la teinte verdâtre, rongée de pourriture, s’affaissait mollement dévoilant le nacre de ses pommettes et s’étalait en bajoues putréfiées. Lorsqu’il pris conscience de notre présence il s’excita, ses mains auxquelles manquaient des doigts se tendirent vers nous, sa mâchoire claqua, happant l’air et dévoilant quelques dents noires et gâtées. Il se débattait, se cognant contre le frigo sur sa gauche et le mur derrière lui. La chaise haute sur laquelle il était installé tanguait sous la violence de ses mouvements, je remarquais qu’une sorte de harnais fait de fil de fer le maintenait dans sa position :

    • Putain ! Gémit Eric.

    • Empêches les filles d’entrer ! Magnes ! J’avais réagit plus promptement que lui, ne pas perdre le contrôle, du sang froid.

    • Qu’est ce qu’on fait ? On se tire ? D’habitude si calme, il semblait perdre les pédales, merde c’était pas le moment !

    • On va pas le laisser comme ça ! Je le secouais.

    • Non, je peux pas, c’est trop ! Ce n’est qu’un bébé, un putain de bébé !

    • Faux, c’est un putain de zombie maintenant ! Il est prêt à nous bouffer comme il a dû bouffer ses parents !

Il me tourna le dos et se cacha le visage dans les mains, les épaules secouées par ses sanglots. Doucement je pris sa batte de base-ball qu’il avait laissé tomber sur le sol, a pas de loup je m’approchais de la petite créature, elle n’avait de cesse de gigoter, émettant des borborygmes aigus et sauvages. Ses orbites vides se fixèrent sur moi, deux puits noirs d’un néant insondable et trop réel.

Je me campais sur mes jambes serrant le morceau de bois de toutes mes forces, les jointures de mes doigts en blanchirent. Je fermais le yeux, pris une grande inspiration, expirais longuement, essayant de calmer mes tremblements. Putain ! Ce n’est plus humain ! Je tentais de m’en convaincre. Une autre inspiration puis une autre, à la prochaine je frappe. J’ouvris les yeux, vidant tout l’air de mes poumons, dans un mouvement fluide, presque involontaire de ma volonté, la batte se lança vers l’avant, elle heurta le crâne mou et stoppa contre le mur derrière lui. La répercussion du choc fit vibrer tout mon corps.

Hébété je fixais mon œuvre, la tête du bébé n’avait pas explosé comme je m’y attendais, elle s’était juste déformée, le haut du visage n’était plus qu’une bouillie informe de sang, de matière cérébrale et de cartilage étalée sur le papier peint. Sa bouche presque intacte vomissait une matière sombre et épaisse, noire comme du pétrole, je dû rester un moment ainsi, la batte contre le mur, le regard perdu dans ce papier peint morbide.

Eric me sortit de ma torpeur :

    • Faut pas rester là ! Viens, la nuit approche. On rentre. Il avait posé sa main sur mon épaule et me tourna doucement vers lui, très lentement il prit la batte de mes mains. Je le laissais faire.

J’avais retrouvé mon toit, le soleil couchant offrait aux tuiles des couleurs orangées et vertes sur lesquelles jouait les premières notes du crépuscule. Un bouteille de Vodka me tenait compagnie, elle était à moitié pleine, ou moité vide, entre les deux. J’observais la ville où j’avais grandi, faite de vieilles bâtisses et de monstruosité moderne, le paradoxe même de nos vie. Nous ne voulons pas nous séparer de notre passé et nous déformons notre présent, architecture moderne aux formes imposantes et carrées, logique et froide, sans âme.

Eric vint me rejoindre, il posa sa main sur mon épaule et s’assit pesamment, comme s’il portait le fardeau du monde. Nous restâmes un moment ainsi, silencieux à observer la nuit prendre sa place, l’alcool faisait des aller retour entre nos mains et la bouteille ne tarderait pas à être vide.

– Ça va ?

– Comme on peut. Articulais-je, je n’avais pas envie de parler.

  • Je suis désolé pour tout à l’heure.

  • C’est rien.

  • Je peux supporter beaucoup, j’ai supporté beaucoup. Soupira-t-il. Mais les gamins, c’est trop, je peux pas. Des larmes silencieuse coulèrent sur ses joues.

  • Je comprend, mais on n’a pas le choix, adultes ou gamin, on doit le faire. Répondis-je froidement.

  • Tu es en colère. Me fit-il.

  • Non, je ne peux pas être en colère. Il me faut un responsable pour l’être.

  • C’est nous les responsables. L’humanité, l’être humain.

  • Arrêtes tes conneries ! Ce n’est pas un punition divine ou un truc dans ce genre, c’est juste une putain d’épidémie ! Va savoir d’où elle vient. Et puis merde ! Songeais-je. Si Eric commence à perdre les pédales et à devenir mystique…

  • Reprends toi mon ami ! Perds pas la boule ! Je le secouais gentiment.

  • Merde ! C’est toi qui a écrasé la tête de ce bébé contre un mur et c’est moi qui me plains. Désolé.

Le silence s’invita dans la conversation, mais pas celui lourd de sous entendu et de non dit, plutôt un silence apaisant, de réflexion.

    • J’ai fait ce que je devais faire. Rien d’autre. Repris-je.

    • Je sais. Mais j’ai une autre question.

    • Vas-y.

    • Si… Dans l’hypothèse où, j’entends, nous rencontrons d’autres survivants. Qu’est ce qui se passera ?

    • J’en sais foutre rien. Je n’y ai pas pensé. Peut être nous devrons nous battre, nous défendre. Cela risque d’être eux ou nous.

    • Parfois tu me fais peur. On pourrait peut être s’associer avec des rescapés.

    • Tu as vu comme nous galérons pour trouver à bouffer ! D’un côté ou d’un autre aucun des deux groupes ne pourra se le permettre.

    • Fais chier. Je crois que tu as raison. Conclut-il.

    • Je n’ai fait que lui rendre service…

    • De quoi tu parles. S’étonna-t-il.

    • Du bébé… je ne pouvais pas le laisser comme ça.

    • Tu crois vraiment que nous les aidons ? Je veux dire en les tuant ?

    • Possible, je ne sais pas en fait, peut être que oui. Sont-ils conscients de leur états, ont-ils encore des sentiments, sont-ils encore humain ? Je ne suis jamais posé ces questions, depuis le début.

    • Et si c’était l’un de nous qui serait infecté ? Faudrait-il le tuer ?

    • Si cela m’arrive tue-moi. La frontière entre l’humain et le monstre est si fragile…

    • Tu n’es pas un monstre.

J’entendis la voix de Julie qui nous appelait pour passer à table.

    • Vas-y, j’ai besoin d’être seul.

    • Très bien, si tu as besoin je suis là.

    • Merci. Répondis-je.

Les trois jours qui suivirent furent arrosés d’une pluie battante, nous empêchant de sortir, nous restâmes cloisonnés, dans un huis clos étouffant. Lionel et Julie s’éclipsaient de plus en plus souvent, sous prétexte de trouver de la nourriture. Guillaume et Eric ne cessèrent de les charrier, Sarah semblait n’y pas faire attention, quant à moi, je m’en foutais royalement. Un peu de chaleur et de tendresse ne fait pas de mal dans ces circonstances. J’eus une explication assez houleuse avec les deux gaillards pour, au final, réussir à les convaincre de les laisser faire et d’arrêter leurs blagues stupides.

Temps nuageux, visibilité moyenne. Ce n’était pas le meilleur temps pour un raid, mais il fallait quitter le petit appartement avant que la tension n’explose. Retour sur zone, un calme plat règne, seul le vent sifflant au travers des carcasses de voitures faisaient entendre sa complainte lugubre.

    • En place, le collège est juste un peu plus haut. Ordonnais-je.

    • Let’s go ! Guill était plein d’enthousiasme, il semblait prêt à en découdre avec tout les zombies de la ville.

    • Restes prudent.

    • T’inquiètes.

La rue que nous nous apprêtions à prendre d’assaut était dans une pente légère, les premiers bâtiment s’élevait sur deux étages, ensuite se trouvait une boîte de nuit, un croisement et un restaurant. Potentiellement beaucoup de zombies. Puis après le restaurant, elle faisait un coude cerné par des maisons bourgeoises pour enfin remonter vers notre destination.

Le premier groupe, Eric, Lionel et Sarah, se dirigèrent vers le premier édifice tandis que nous restions en retrait. L’attente ne dura que quelques minutes, du toit Guillaume nous fit signe que tout était dégagé. Nous avions décidé d’avancer en parallèle, un groupe au sol, un sur les toits. Je m’arrêtais.

    • Merde ! M’exclamais-je.

    • Quoi ? S’inquiéta Sarah.

    • Faut qu’on change nos positions, je devrais être sur les toits.

    • Ça va aller comme ça. Me rassura Eric.

    • Ah ouais ? Et si une horde débarque, avec quoi ils nous protègent ? Les molotov ?

    • Putain, t’as raison. On est con. Souffla Guillaume.

    • On fera ça pour la prochaine rue. Intervint Sarah. Pour le moment Guill passe devant et moi je le suis, toi tu restes en arrière pour nous couvrir.

    • On fait comme ça, mais on trace. Approuvais-je.

Nous parvînmes sans encombres au croisement, le groupe du toit nous rejoignit. Je leur expliquais la légère modification de stratégie et changeais les groupes. Julie, Sarah et moi sur les toits; Guill, Lionel et Eric au sol.

J’emmenais ma troupe sur les hauteurs et leur rappelais la stratégie. De là haut je canarderais tout ce qui bouge, tandis que Julie utiliserait les molotov qu’elles portaient en ceinture. Pendant ce temps, en bas ils se chargeraient des goules qui pourraient surgir ou survivre à notre assaut. Le collège n’était qu’à cents mètres de nous, nous avancions prudemment, par chance les toits étaient plats et nous permettaient de progresser rapidement.

Quelques minutes plus tard le bâtiments de brique rouge se dressait face à nous, la grille d’acier peinte en verte était fermée et les murs d’enceinte de pierre claire étaient surmontées de fils barbelés, apparemment quelqu’un y avait tenu, ou y tenait encore un siège. Dans la rue, une masse grouillante de zombies se pressaient contre la lourde porte de métal, leurs râles emplissaient l’air de sons lugubres et caverneux.

    • Allez fais moi cramer tout ça !

    • Compris.

Julie n’hésita pas, elle amorça son premier molotov et le lança, son tir fut trop court et la bouteille s’écrasa contre une voiture, immédiatement le feu se déclara, embrassant la carcasse. La chaleur monta rapidement et les créatures au sol se retournèrent d’un bloc. Second lancer, le mélange inflammable se répandit au pied du groupe principal, il s’enflammèrent comme des torches, au travers des flammes nous pouvions voir leurs silhouettes se découper. Ils avançaient vers notre position, l’un d’entre eux se détacha de la masse et se dirigea hors de la zone brûlante, il se déplaçait lentement mais sûrement, dévorés par les langues calcinantes jaunes orangées. Tel un signal, un point de ralliement mouvant, il ouvrait la voie à ses congénères.

    • Merde, ils ont repéré notre position. Souffla Sarah.

    • Ne panique pas, tant que nous sommes en hauteur ils ne peuvent nous atteindre, il faut juste espérer que les autres ne se sont pas dévoilés. Tout en rassurant la jeune femme j’encochais trois flèches.

Ils étaient maintenant à deux ou trois mètres de l’immeuble, Julie jeta son dernier cocktail explosif dans la cohue qui se pressait. La chaleur nous submergea, l’odeur âcre et piquante des corps brûlant nous assécha la gorge, le brasier s’intensifia, portant avec lui une suie noire et grasse.

    • Reculez. Ordonnais-je, tout en plaquant un pan de mon manteau sur ma bouche et mon nez.

    • Ça va allez. Dû crier Sarah pour couvrir le ronflement de l’enfer qui se déchaînait plus bas.

    • Non, recules ! Ne respire pas la fumée !

Elle obtempéra, nous reculâmes le plus loin possible, observant les flammes qui s’élevaient toujours plus haut.

    • On perds le contrôle, on dégage avec que tout ne crame !

Nous avions détallés comme des lapins, sautant de toit en toit pour s’écarter de la fournaise pour enfin atteindre le second groupe qui bloquait la rue. Le calme bourdonna à nos oreilles.

    • Hé, c’est quoi ce bordel ? Glapi Eric en pointant du doigt la colonne de fumée grasse.

    • Julie s’est un peu lâchée sur les molotov. Fis-je.

    • Ben dis donc ! Tu les a chargé en napalm ou quoi ? Siffla-t-il,

    • Au moins c’est efficace, on se rentre, on va attendre que ça se calme.

Deux jours plus tard le panache de fumée n’était plus réduit qu’à un mince filet cendreux, nous remontions la rue, une odeur calcinée nous imprégnais les narines, malgré les chiffons que nous avions placés devant nos bouche par précaution. Les carcasses de voitures encore fumantes entravaient notre progression, par moment nos pieds écrasaient dans un bruit sec les restes de quelques zombies carbonisés. Nous arrivâmes devant la haute grille du collège Henry IV, pas un son ne perturbait l’air. Pas même les oiseaux. Chose qui nous accompagnait s’approcha de la porte, ridiculement petit face à sa taille. Il huma l’air à la manière fébrile des chiens puis s’assit. Aucun danger de l’autre côté. Guillaume, toujours plein de bon sens, avait prévu une échelle assez haute pour franchir l’enceinte, il la plaqua contre le mur et s’y engagea.

    • Ça à l’air désert. Souffla-t-il après avoir jeté un coup d’œil. Je passe de l’autre côté.

    • Ok, soit prudent. Fis-je.

Il se retourna vers moi et me fis un clin d’œil. Puis il disparut.

Notre attente fut perturbée par les jappements du ratier, son poil s’étaient hérissé et il fixait une double porte en bois massif un peu plus haut. D’un coup il bondit en avant et s’y rua. Julie voulu le retenir :

    • Reviens ! Hurla-t-elle. Reviens, tout de suite !

Mais il l’ignora et continua sa cavalcade vers la chapelle.

    • Y’a quoi dans ce bâtiment ? M’interrogea Lionel.

    • Rien, à ma connaissance, elle servait de salle d’expo. Allons voir. Conclus-je en armant mon arc.

Nous suivîmes le clébard, arrivé à hauteur de la lourde nous remarquâmes que le feu avait à moitié rongé les planches, perçant de petites ouvertures ici et là. Chose s’engouffra dans une de ces brèches.

    • Non, reviens ! Gémit la petite blonde.

    • Putain, il fait quoi le clebs ? Guill nous avait rejoins. J’ai réussi à ouvrir la grille, on peut rentrer.

    • Ok, on y va. Ordonnais-je.

Lionel attrapa Julie par le bras :

    • Viens, il reviendra. La rassura-t-il.

Mais elle restait prostrée, hébétée devant la porte. Elle secoua la tête et s’avança.

    • Je vais le chercher. Fit-elle d’une voix blanche.

    • Non, c’est trop risqué, on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Tenta de l’en empêcher son compagnon.

Elle ne s’arrêta pas, arrivée à deux mètres son visage se décomposa, elle se retourna vers nous et souffla :

    • Là, on est vraiment dans la merde.

Une horde de goules défonça la porte et se jeta sur elle, la plaquant au sol, impuissante. Ses cris de douleurs vrillèrent nos tympans et nos esprits, ils la dévoraient vivante. Une mare de sang noirâtre s’étala sur le bitume et nous entendions les mâchoires des créatures s’activer, les os de la jeune femme craquait sous leurs dents.

    • Nooonn !!!

Lionel hurla en chargeant les goules en plein festin. Il parvint à en écarter quelques unes, assez pour voir que notre amie n’avait plus qu’un trou béant à la place de l’abdomen, ses viscères répandues sur le sol palpitaient encore de vie, tels des serpents grisâtres et striés de sang. Elle était encore consciente mais ne semblait plus sentir la douleur. Sarah se retourna et vomi. J’entendis les dents d’Eric grincer et la respiration du colosse s’alourdir.

J’observais le spectacle, comme hypnotisé, les zombis se repaissant des entrailles de la toulousaine, plongeant leurs têtes directement dans son cadavre, tirant avec leurs dents sur ses boyaux jusqu’à ce qu’ils cèdent en projetant des giclées de nourriture digérée. L’un d’eux nous repéra, la bouche encore pleine d’un morceau de foie dont la bile lui dégoulinait sur le menton, laissant des coulures plus claires sur sa peau putréfiées. Avant qu’il ne puisse se lever une flèche lui transperça le crâne de part en part, d’instinct j’avais tiré. Et je continuais, comme mû par un automatisme infernal, chacun de mes traits touchaient sa cible, mais sans cesse il en sortait de la chapelle. Lionel se défendait de son mieux, protégeant le corps de sa bien aimé en imposant un barrage de rage et de coup à ses assaillants. Plusieurs têtes explosèrent, répandant une mélasse flageolante, cependant il fut rapidement débordé par le nombre et dans un :  » Je vous emmerde ! » tonitruant il fut happé par une nouvelle vague d’attaquants.

    • On se repli dans le collège. Vite ! Ordonnais-je. Allez-y, je vous couvre.

Eric ne discuta pas, il attrapa Sarah par le bras et la traina de force avec lui. Tout en reculant je décochais flèches sur flèches aux goules, tant d’autres arrivait, il me fallait fuir de suite. Sans demander mon reste je me ruais à la suite de mes amis. Je slalomais entre les carcasses de voitures quant une main agrippa ma cheville, d’un coup de Ranger je l’écrasais et de l’autre pied j’éclatais la tête de la goule cachée sous un essieu, son crâne fit le même bruit qu’une coquille de noix sous un marteau, de la cervelle inonda le bas de mon treillis. Le salopard m’avait retenu suffisamment pour que mon avance sur la meute ne soit plus que de quelques décimètres, assez pour ne pas me faire attraper, trop peu pour être en sécurité.

Les dix mètres qui me séparait de l’entrée furent une éternité. J’avançais comme au ralenti, avec la certitude que dans peu de temps une main se serrerais sur ma nuque et que des dents broieraient mes cervicales.

Et cela arriva, une main froide et puante se saisit de mon col et me retint, je me débattis mais sa force était impressionnante. Tant que je maintenait la goule à distance elle ne pouvait me mordre et mes chances de survie restaient valables, plus ou moins. D’un coup sa tête s’écrasa sur elle même, les globes qui restaient de ses yeux se répandirent sur ses joues, sa main relâcha son emprise, en me libérant je vis un morceau de bois se retirer de la carcasse, Guill m’observa :

    • Un coup de main ?

    • Merci. Soufflais-je.

    • Pas de quoi.

    • On se casse.

Nous reprîmes notre course lente et exaspérante, entravés par les voitures et les décombres. Mais nous parvînmes au portail. Eric le défendait face à une nouvelle meute, son arme tournoyait dans les airs, tranchant un bras, une jambe, une tête qui volait dans les airs pour s’écraser plus loin. Sans nous concerter nous chargeâmes, nous frayant un passage dans le petit groupe de zombis.

    • Rentres ! Hurlais-je au noir.

    • J’arrive ! Répliqua-t-il.

Son arme toujours tourbillonnante il recula pas à pas jusqu’au niveau du portail. De mon arc je l’aidais à contenir la masse de zombis déferlantes en vagues gémissantes. Lorsqu’il se fut assez replié dans l’enceinte Guill poussa la lourde porte d’acier. Un des monstres, un peu plus rapide que les autres se trouvait déjà dans l’ouverture, la grille se referma sur lui et le géant poussa de toutes ses forces. Le zombi se retrouva dans un étau, son corps fut broyé par la force du maçon et le poids de la lourde. Sarah s’empressa de l’entravée avec une grosse poutre d’acier.

Nous nous observâmes :

    • On a eu chaud ! Souffla Eric.

    • Ouais, mais c’est pas fini. Intervint Guill en indiquant la masse de mains qui tentaient de franchir les barreaux.

    • Ça, c’est rien. Ricana Sarah.

Elle s’empara du hachoir d’Eric et entreprit de trancher méthodiquement tous les membres qui dépassaient :

    • C’est notre territoire maintenant. Faut leur faire comprendre !.

Je soupirais, à la fois de soulagement et d’exaspération. Cela ne finirais jamais. Je m’assis et remarquais quelques choses d’étrange.

    • Guill, viens voir.

Il s’approcha de moi :

    • Quoi, qu’est ce qu’il y a ?

    • Tournes-toi.

Il obéit sans rechigner.

    • Tout va bien, tout le monde est ok ? M’enquis-je.

    • Ouais. Ils me répondirent en cœur.

    • C’est quoi le problème avec Guill. S’inquiéta Eric.

Je saisis ce qui m’avait intrigué, une main de zombis encore agrippé à la cheville de Guill, le poignet n’avait pas été tranché par une arme blanche, mais il s’était comme détaché de son propriétaire.

– C’est pas un problème mon pote ! ! Gloussais-je. C’est une putain de bonne nouvelle !

FIN




Archives